Une méga-Eglise peut-elle survivre au départ d’un pasteur mégastar?

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Une méga-Eglise peut-elle survivre au départ d’un pasteur mégastar?

Sarah Pulliam Bailey
17 novembre 2014
La méga-church Mars Hill a annoncé au début du mois qu’elle allait dissoudre son réseau multisite de 13 Eglises installées dans le nord-ouest des Etats-Unis. Ce réseau avait pris racine sous l’influence du pasteur Mark Driscoll, qui a démissionné en octobre après que ses sympathisants ont perdu confiance sans son style de leadership de haut voltage, qui a été critiqué comme intimidant, hyper-macho et intolérant. Cette mésaventure doit-elle servir d’avertissement pour d’autres communautés?

Photo: L'Eglise studio de Mars Hill Church à Seattle CC(by-nc-sa) Mars Hill Church

, RNS/Protestinter

Pour de nombreuses méga-Eglises, un pasteur peut devenir plus grand que l’Eglise elle-même. En particulier pour les Eglises multisites, où le sermon du pasteur est la seule chose qui fait le lien entre des congrégations disparates, connectées seulement par satellite. Avant sa démission, le nom de Mark Driscoll était plus largement connu que celui de l’église: Mars Hill. Le «duel des marques» a parfois éclaté au grand jour en cours de route; certains racontent qu’un jour le pasteur aurait dit au reste de l’équipe: «la marque, c’est moi!». Mark Driscoll, sur sa personnalité nerveuse, a bâti une congrégation estimée à 14’000 personnes sur 15 sites répartis à travers cinq états. La fréquentation hebdomadaire serait environ de 7600 personnes. En août, l’église a connu un déficit budgétaire avec près de 650’000 dollars de dépenses supérieures aux recettes.

Selon les dirigeants de Mars Hill, les différents sites du réseau deviendront indépendants au début 2015, en tant qu’Eglises indépendantes et autonomes, ou bien rejoindront d’autres Eglises, ou bien disparaitront complètement. Les propriétés existantes de l’Eglise Mars Hill seront soit vendues, soit les emprunts en cours seront pris en charge par les nouvelles Eglises devenues indépendantes. Le personnel du centre à Seattle sera licencié du fait de la dissolution de l’organisation Mars Hill.

Les pasteurs sont plus difficiles à remplacer que les PDG

Des méga-Eglises à travers le pays ont été confrontées à des baisses de participation similaires, au départ de leur pasteur populaire; un problème que l’on peut rencontrer dans une Eglise, mais qui est peut-être exacerbé dans un contexte de mégamarque. Si le directeur général de McDonald’s venait à partir par exemple, l’entreprise ferait face à moins de problèmes liés à sa survie que l’émission Colbert Report, si l’animateur-star venait à partir (The Colbert Report est une émission de télévision satirique américaine diffusée quatre jours par semaine depuis 2005 sur Comedy Central. Elle est présentée par l’humoriste Stephen Colbert).

William Vanderbloemen, coauteur du livre récent: «Next: Pastoral Succession That Works» (Ensuite: une succession pastorale qui fonctionne), déclare: «il est fréquent pour les directeurs d’entreprise de dire que le premier point à l’ordre du jour est de savoir “qu’est-ce qui se passera quand je ne serai plus là?”. La clé est d’avoir un plan de succession en cas d’urgence».

La parution du livre controversé: «Love Wins» (L’amour gagne), de Rob Bell, ancien pasteur d’une méga-Eglise basée à Grand Rapids, dans le Michigan, a soulevé des débats sur l’existence ou non de l’enfer, ce qui a eu pour résultat une diminution de la méga-Eglise. Son pasteur actuel Kent Dobson a déclaré que l’Eglise avait perdu environ 1000 personnes au cours de la controverse, et compte maintenant environ 3000 membres.

Une marque et un leadership

Chaque pasteur de méga-Eglise se bat avec les défis liés à la marque et au leadership, a déclaré Mark DeMoss, qui s’est occupé des relations publiques pour Mars Hill avant la démission de Mark Driscoll. «Si le pasteur est le meilleur communicateur et prédicateur et pasteur dans le contexte local, je pense que vous pouvez établir son efficacité de manière optimale, a-t-il dit. Les dangers résident parfois dans la succession».

Toutes les méga-Eglises ne connaissent pas forcément une baisse de fréquentation après le départ de leur pasteur. Après que son père est mort subitement d’une crise cardiaque en 1999, Joël Osteen a vu son Eglise de Lakewood à Houston bondir de 5000 membres à plus de 50’000 aujourd’hui. La participation à l’Eglise baptiste Thomas Road de Jerry Falwell, à Lynchburg, en Virginie, était de 4000 personnes environ quand il est mort. Avec son fils Jonathan Falwell, l’église compte aujourd’hui 10’000 participants. De même, l’Eglise presbytérienne de Coral Ridge, à Fort Lauderdale, en Floride, fondée par le révérend D. James Kennedy, une icône de la droite religieuse, avait une moyenne de fréquentation autour de 1000 personnes (et une portée de diffusion de 3 million) quand il est mort en 2007. Après une phase de transition tourmentée, le nombre des participants est monté à 2400, sous la houlette de Tertullien Tchividjian, petit-fils de Billy Graham, qui est un pasteur populaire à part entière.

Un retour possible?

La tombée en disgrâce de Mark Driscoll est le résultat d’une combinaison de facteurs: un contrôle accru des finances de l’Eglise, les allégations de plagiat concernant son livre et les commentaires qu’il avait faits en ligne sous le couvert d’un pseudonyme. La plupart des critiques provenaient de blogueurs sur les réseaux sociaux, qui ne fréquentaient même pas l’Eglise. Mark Driscoll pourrait-il faire son retour dans une autre Eglise ou dans un autre ministère? Pour un mouvement évangélique qui valorise le pardon, la rédemption et les secondes chances, tout est possible. D’une part, sa démission ne s’est pas déroulée à un niveau de scandale tel que celui qui a entouré la démission de Jim Bakker ou de Jimmy Swaggart, dans les années 1980. Jim Bakker avait été accusé de fraude et Jimmy Swaggart d’adultère. Les deux hommes sont restés actifs dans le ministère, mais ne sont pas beaucoup vus en dehors des télévisions câblées, et tard le soir

D’autre part, d’autres pasteurs de grande envergure ont démissionné, puis ont tenté leur retour avec un succès variable. Après des accusations de relations homosexuelles et d’usage de drogue portées par un escort-boy, Ted Haggart a démissionné de son église de Colorado Springs (ainsi que de la tête de l’association nationale des évangéliques), mais depuis il a ouvert une autre Eglise. En 2011, le fondateur de la «Sovereign Grace Ministries» (SGM), C.J. Mahaney, a pris congé de son réseau d’implantation d’Eglises dans un contexte d’accusations de «diverses expressions d’orgueil, d’intransigeance, de tromperie, de mauvais discernement et d’hypocrisie». C.J. Mahaney a été rétabli après un an, et il est maintenant pasteur d’une église locale de Louiseville, dans le Kentucky. En 2010, John Piper a pris un congé de huit mois à l’Eglise baptiste de Bethlehem de Minneapolis, expliquant que son âme, son mariage, sa famille et son modèle de ministère avaient besoin «d’une vérification de leur bien-fondé de la part de l’Esprit Saint». Il est revenu quelques années avant la retraite.

La fréquentation: une mesure du succès?

Certains évangéliques voient dans le nombre élevé de fréquentation une mesure de succès pour un ministère – quelque chose qui pourrait se révéler difficile à reproduire pour Mark Driscoll s’il revenait en scène une deuxième fois. «Si Mark Driscoll peut continuer à attirer les gens, et avoir un ministère plein de succès, alors son autorité, même si elle a été mise en doute, pourra toujours reposer sur ce qu’il réussira à produire», a déclaré Scott Thumma, un expert en méga-Eglises au Hartford Seminary, dans le Connecticut.

Certains critiquent la mouvance évangélique comme une tradition qui encourage la volonté de faire plus en plus de chiffre, en termes de fréquentation, indépendamment de ce que ça coûte. Wendy Alsup, qui a fréquenté Mars Hill de 2002 à 2008, a déclaré qu’elle voyait de plus en plus d’évangéliques se demander si «plus grand» était réellement mieux. «Il existe une importante réaction chez certains à s’identifier à quelque chose qui dure dans le temps», a-t-elle dit. «Ils rejettent la croissance rapide et font marche arrière vers une structure lente et méthodique».