La situation des chrétiens en Russie peine à évoluer

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La situation des chrétiens en Russie peine à évoluer

Heido Hall,
10 octobre 2014
Bien que les persécutions soient finies, la situation des protestants de Russie piétine, déclare un pasteur baptiste russe.

Photo: Victor Ignatenkov et sa traductrice, la pasteure Ellen Smith, ©RNS

RNS/Protestinter

Victor Ignatenkov, pasteur russe, dont le grand-père a été tué parce qu’il était chrétien, s’est rendu aux Etats-Unis. Il observe les ministères de l’Eglise américaine, et partage son témoignage rare et personnel, celui d’une personne qui connaît le paysage religieux complexe de la Russie, maintenant que les persécutions, autrefois largement répandues, sont terminées. Pendant l’enfance de cet homme de 59 ans sous le régime soviétique, les chrétiens ne pouvaient se réunir que pour les cultes. Il n’y avait pas d’école du dimanche, pas d’étude biblique en milieu de semaine, et définitivement aucun prosélytisme.

Aujourd’hui, Victor Ignatenkov dit être libre de mener les activités qu’il veut si bien comme pasteur de l’Eglise centrale Baptiste dans sa propre ville de Smolensk — une ville située entre les capitales de la Russie et de l’Ukraine – que comme évêque régional de l’Union russe des chrétiens évangéliques baptistes. L’Union est un groupe d’Eglises évangéliques protestantes qui ont commencé à émerger en Russie il y a environ 150 ans, comme une alternative à l’institution orthodoxe russe.

C’est le Programme Paix et Réconciliation internationale de l’Eglise presbytérienne (USA) qui a sponsorisé le voyage du ministre aux Etats-Unis, avec des haltes prévues au Tennessee, en Pennsylvanie, en Oklahoma et dans plusieurs autres états. Victor Ignatenkov, grâce à un interprète, a discuté de la relation proche de Vladimir Poutine entretient avec l’Eglise orthodoxe Russe.

Vladimir Poutine a aidé à ressusciter l’Eglise, que l’Etat avait autrefois écrasée. Et bien qu’il n’y ait aucune religion d’Etat, l’Eglise russe orthodoxe bénéficie d’un traitement privilégié. «Vladimir Poutine peut bien être de la confession qu’il veut», dit Victor Ignatenkov. «Ce qui est important pour nous, ce que nous apprécierions, c’est qu’il se tienne dans une position neutre. Nous ne ressentons pas de restrictions gouvernementales parce que nous sommes baptistes».

Tous les chefs d’Eglises ne peuvent pas dire la même chose. Le gouvernement refuse de reconnaître quelques religions, ce qui signifie que la liberté religieuse est de fait limitée. L’année dernière, un rapport du Département d’Etat américain a épinglé la Russie sur le traitement qu’elle réserve aux groupes religieux minoritaires, non seulement aux Témoins de Jéhovah, aux scientologues et aux pentecôtistes, mais aussi aux musulmans. Les membres des minorités peuvent être soumis à l’arbitraire, se voir refuser l’accès aux lieux de culte ou même des visas pour les missionnaires, indique ce rapport.

Pour les confessions que le gouvernement reconnaît, la Perestroïka, le mouvement de réforme politique qui a commencé au déclin de l’Union soviétique, les portes sont ouvertes pour une liberté de religion totale.

Déclin de la religiosité

Avant, les Russes n’avaient jamais assez de prêches évangéliques, a déclaré Victor Ignatenkov. Les centres culturels étaient utilisés pour des services religieux et les gens s’arrachaient les Bibles gratuites. Mais maintenant, la description que fait Victor Ignatenkov de ses concitoyens ressemble à ce que les évangéliques américains déplorent: les gens sont indifférents. «Probablement parce que leur qualité de vie est meilleure», avance le pasteur baptiste, «tout ce qui était interdit était bien sûr très intéressant. Ce n’est plus interdit, donc naturellement ce n’est plus intéressant maintenant.»

Un centre de recherche sur les pratiques des groupes religieux majoritaires en Russie confirme les observations de Victor Ignatenkov à propos de l’intérêt des Russes pour la foi. Couvrant une période qui va de 1991 à 2008, l’étude montre une montée d’intérêt pour le protestantisme. L’Islam et le catholicisme romain. Montée d’intérêt qui s’est ensuite réduite. La part des Russes qui sont allés à l’Eglise une fois par mois est montée de 2% en 1991 à 9% en 1998, pour ensuite baisser à 7% 10 ans plus tard.

En 2008, l’enquête a montré que 72% de la population russe sont chrétiens orthodoxes, mais il n’y a pas de corrélation avec la fréquentation des églises. Des études américaines similaires montrent qu’un cinquième des adultes américains ne s’identifient à aucune religion. Mais le pasteur russe s’est déclaré impressionné par les activités d’Eglise durant son voyage. Lundi 6 octobre, à Clarksville, Tennessee, à l’université d’état Austin Peay, il s’est adressé à des étudiants de science politique, avant de repartir vers Smolensk, avec des idées d’améliorations à partager avec son Eglise.

Grand-père tué pour sa foi

Les ennuis pour les chrétiens russes ont commencé en 1937, sous le dictateur Joseph Staline, a déclaré Victor Ignatenkov. Sa mère, Olga a été élevée avec ses cinq frères et sœurs dans la foi baptiste, par son père Pavel Gorbatenkov, le grand-père de Victor. C’est par le martèlement des poings des soldats sur la porte, qu’ils ont su en un instant que leur vie heureuse et paisible était terminée. Le grand-père de Victor Ignatenkov a été emprisonné, et les visites de sa famille interdite. Sa famille a tout de même continué de lui apporter de la nourriture à la prison pendant deux semaines. Après ces 15 jours, les soldats n’ont plus pris la nourriture, mais sans toutefois leur dire que Pavel Gorbatenkov avait été tué. Ce qui n’a été dit que des années plus tard.

Le gouvernement a commencé à autoriser les cultes limités en1944. Aujourd’hui, la Constitution de la Russie prévoit la liberté religieuse, mais d’autres lois, dont celle qui interdit «l’extrémisme» et une nouvelle loi sur «l’offense aux sentiments religieux des croyants» limitent la liberté religieuse, particulièrement pour les membres de groupes religieux minoritaires.

L’histoire familiale de Victor Ignatenkov et la question de la liberté religieuse en Russie posent celle de savoir si les incidents rapportés par des évangéliques aux Etats-Unis peuvent être qualifiés de persécutions. Dans un article récent paru dans un blog de la Convention baptiste du sud, à Arington, Texas, une mère a écrit qu’elle estimait que son fils était persécuté parce que son professeur lui avait demandé de garder sa Bible pour un usage privé.

Les plaintes pour persécutions des évangéliques américains font écho à celles de minorités religieuses comme les Témoins de Jéhovah, qui ont saisi la Cour suprême dans les années 1940, pour protéger leur liberté religieuse, observe James Hudnet-Beumier, professeur d’histoire des religions à la Divinity School de Vanderbilt.

Mais c’est bien peu pour dire que ce qui arrive aujourd’hui en Amérique a quelque chose à voir avec la persécution, continue le professeur, particulièrement si on compare avec ce qui se passe en Russie, en Irak ou en Syrie. «Les Etats-Unis sont un des pays au monde les plus respectueux en matière de religion», conclut James Hudnet-Beumler.

Impressionné par les ministères sociaux

Après ses expériences vécues, Victor Ignatenkov va dans ce sens en disant qu’il serait peut-être plus juste de dire que les expériences négatives des chrétiens américains sont plus du ressort de la discrimination que de la persécution. De façon générale, il dit avoir été très encouragé par les Eglises américaines, grandes et animées, «avec des salles pour tout.» Il a rajouté enfin avoir été vraiment intéressé par ce qu’il a vu des ministères sociaux des Eglises — auprès des personnes sans domicile, dans les prisons et ailleurs — et qu’il allait en tirer des leçons pour chez lui.

Il voudrait également entreprendre des efforts coopératifs entre gouvernement et Eglises pour prodiguer aux Russes dans le besoin des services qui s’enracinent dans la foi.