Des Eglises sans Dieu pour être ensemble

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Des Eglises sans Dieu pour être ensemble

Marie Billon
26 septembre 2014
La Sunday Assembly regroupe des non-croyants désireux de goûter à l’esprit de communauté en se retrouvant ensemble, tout comme dans une église…

(texte et photo), Réforme, Londres

Des chants, un moment de recueillement, une quête… La Sunday Assembly –Assemblée dominicale– ressemble à s’y méprendre à un service religieux classique. Surtout dans cette salle aux murs et aux balcons en bois de la Conway Hall Ethical Society, à Londres. La seule différence est que Dieu est absent.

L’Assemblée dominicale est en fait une «messe» athée. «Nous, nous n’avons ni enfer ni paradis, explique le maître de cérémonie, Sommerson, dans un français presque parfait. Mais nous avons quelque chose à célébrer: la vie!» Sommerson est comédien, c’est avec sa collègue Pipa qu’il a décidé de créer les Assemblées dominicales, en janvier 2013. «J’adore chanter, j’adore les paroles intéressantes. J’adore penser à m’améliorer ou aider les autres. J’adore l’idée de communauté… Toutes les composantes des messes sans la divinité. Il y a quelque chose de magique qui se passe quand les gens sont réunis. Si les messes fonctionnent ainsi, c’est qu’il y a une bonne raison, alors on leur a piqué le concept.»

L’Assemblée a lieu un dimanche sur deux, à 11h. A la place du sermon, un orateur s’exprime sur un sujet dont il est spécialiste. A la place des chants, des chansons de variétés. Ce dimanche, le thème est «la mort». Comment l’envisager quand on ne croit pas en l’après… Les traits d’humour de l’oratrice détendent l’atmosphère et les chants sont là pour convaincre les derniers sceptiques: Always look at the bright side of life, le générique de La vie de Brian des Monthy Pithon, et What a feeling, de Flashdance. Les gens chantent et dansent. Même les enfants qui ont un coin pour eux en profitent.

«Je viens toujours avec mon fils de six ans, raconte Corinna, une habituée. Il s’amuse beaucoup, moi aussi d’ailleurs, et puis j’apprends pas mal de choses. Ça donne une raison pour se lever le dimanche matin. Mais c’est surtout pour l’esprit de communauté que je viens ici.» Même son de cloche pour Laureen, vingt-six ans: «Je rencontre des gens qui ont la même idée de la vie et de la spiritualité que moi. Aujourd’hui, nous les jeunes, on est tout le temps en train de déménager. On ne peut pas s’ancrer dans une communauté locale. La Sunday Assembly c’est, pour moi, ce qui se rapproche le plus d’une communauté.»

Des discours qui n’étonnent pas Nick Spencer, auteur de «Athéisme: l’origine des espèces», qui a été publié cet été. «Je trouve très intéressant que des athées aient créé des Eglises. Elles ont si souvent été critiquées, vues comme ennuyeuses ou autoritaires. Mais en fait, il y a quelque chose au plus profond de l’âme ou de l’esprit humain qui est touché par le fait de chanter ensemble, de se recueillir ensemble… bref de remplir le cahier des charges d’une Eglise. Qu’il y ait un Dieu ou non, on a toujours besoin de ça.»

Pour Nick Spencer, c’est la preuve que le Premier ministre, David Cameron, ne s’est pas complètement trompé en disant que la «Grande-Bretagne est un pays chrétien». «Nos habitudes, notre culture restent chrétiennes, analyse-t-il. Les Assemblées dominicales ne font que reproduire un schéma qui existe déjà: dans les petits villages où tous les lieux de sociabilité sont fermés, le pub ou même l’école locale, l’église reste toujours debout, l’endroit où la communauté peut se rassembler. Même les non-croyants tiennent à leur clocher.»

Groupes locaux

La Sunday Assembly est présente dans 13 villes britanniques et dans trois autres pays. Elle devrait bientôt arriver à Paris. «Notre but est de créer une Assemblée dans chaque ville et village qui en voudrait une», explique Mark McKergow, responsable de l’expansion du projet.

En fait, ces Assemblées dominicales ne sont pas si nouvelles que ça. L’Association des humanistes britanniques (BHA) avait déjà noté cette envie de communauté chez les «sans-Eglise». «Nous avons des groupes locaux qui se réunissent depuis des années, explique Pavan Dhaliwal, chef de projets au BHA. C’est une erreur de penser qu’on a besoin d’une divinité pour avoir le sens de “l’être ensemble”.»

Ces réunions, ces Assemblées, ne sont pas sans but moral non plus. «Notre dicton, c’est “être bon sans Dieu”», sourit Pavan. La Sunday Assembly aussi a un dicton: «Vivez mieux, aidez-les autres souvent, émerveillez-vous davantage.» Mais elle ne veut pas se déclarer humaniste, athée ou s’attacher une identité. «Nous avons des croyants qui viennent à nos Assemblées et c’est très bien. Ma grand-mère est croyante. Je ne veux pas qu’on se moque d’elle si elle vient un dimanche», explique Sommerson. La Sunday Assembly ne fait pas du militantisme athée, contrairement au BHA qui avait réalisé sa campagne de publicité affichée sur des dizaines de bus londoniens en 2009: «Il n’y a probablement pas de dieu, alors arrêtez de vous inquiéter et profitez de la vie.»

Difficile de rencontrer un croyant dans la foule qui s’égrène dans la rue après la Sunday Assembly. Mais s’il y en avait de présents ce dimanche, ils auront certainement apprécié la remarque de Sommerson, au pupitre, lorsqu’il parlait de sa mère décédée: «Certains croient qu’elle est au ciel, peut-être, je n’y crois pas mais peut-être.»

C’est une sorte d’athéisme attentionné et syncrétique que Sommerson veut développer dans ses Assemblées. Aujourd’hui, il réfléchit même à rajouter une nouvelle composante: la lecture de textes. Un autre emprunt aux Eglises. Mais il n’a pas encore résolu la question: «Quels textes?»