Vivre le moment présent, un art de vivre?
Jon Kabat-Zinn, qui a longtemps enseigné à l’Ecole de médecine de l’Université du Massachusetts, est de ceux qui ont contribué à la reconnaissance de l’importance du stress dans nos vies et s’est engagé dans la prévention à cet égard. Il a développé des programmes à l’attention des étudiants en médecine, des professionnels et de tout un chacun, avec un élément important de méditation. Retraité, à un moment où chacun d’une manière ou de l’autre réfléchit à ce qui a été fait, à ce qui est maintenant et à ce qui pourra advenir, j’ai relu son ouvrage «Où tu vas, tu es»*.
Jon Kabat-Zinn évoque l’importance de faire des pauses, d’arrêter l’activité frénétique de beaucoup parmi nous. «Observer le moment présent sans essayer de changer quelque chose. Quand on s’arrête, être entièrement dans l’instant présent». «C’est un peu comme si l’on mourait pendant que la vie continue. Toutes nos responsabilités s’évaporeraient. Ce qui en resterait serait réglé sans nous. Personne ne peut continuer notre agenda personnel». Réflexion qui peut inquiéter… personnellement, je la trouve tranquillisante.
L’auteur fait plusieurs références à l’Américain H.D. Thoreau et à son livre «Walden», écrit durant deux ans d’une vie isolée près d’un étang (1845-1847): je me suis retiré dans les bois parce que je voulais vivre en faisant face aux faits essentiels de l’existence, en essayant de voir si je pouvais en apprendre quelque chose au lieu de m’apercevoir au moment de mourir que je n’aurais point vécu». «L’idée d’éternité est véritablement sublime. Mais tous ces moments et ces lieux et ces occasions sont ici et maintenant.»
Apprendre l’éveilPour Jon Kabat-Zinn, «il ne s’agit pas d’aller quelque part, mais de se permettre d’être là où on est». Il propose un exercice pratique pour vivre dans l’instant présent (apprendre l’éveil): il s’agit d’observer les autres en se demandant si c’est vraiment eux que l’on voit ou si c’est le jugement que l’on porte sur eux.
Il m’arrive souvent, dit-il, de vouloir introduire quelque chose de plus dans le moment présent. «Encore ce coup de téléphone, encore une chose à faire… Je travaille dur à résister à cette pulsion, qui me rend indisponible à ce qui m’entoure, et à simplifier ma vie. Ne faire qu’une seule chose à la fois. Voir moins afin de voir mieux, faire moins afin de faire plus, acquérir moins afin de posséder plus.»
C’est un vrai changement de paradigme! Tout cela est bel et bon, diront les personnes très engagées dans la vie professionnelle, à soigner, à porter secours ou, dans la vie économique en général, à faire leur job ou offrir des places de travail à d’autres. Nous ne sommes pas là pour rêver, il n’est souvent pas possible de s’arrêter pour «vivre consciemment» chaque instant.
Ces emplois du temps chargés qui nous rassurentJ’ai, moi-même, toujours été pressé, courant d’une tâche à l’autre, avare de mon temps, et malgré la retraite n’ai guère changé; Jon Kabat-Zinn me remet en question en parlant de «ces emplois du temps chargés qui nous rassurent».
Prendre ce temps de méditation est un défi pour le chercheur également. Il enseigne dans une grande université, avec ce que cela représente de charges et responsabilités. Pas facile de suspendre cette activité: «pour moi, père de famille, très impliqué dans mon travail, l’impulsion de partir m’asseoir sous un arbre, d’écouter l’herbe pousser, pose un sérieux problème. Cependant, il y a toujours moyen de choisir la simplicité (…) Occasion de découvrir que le moins peut-être le plus».
On peut faire référence ici à ce que disent les témoignages de chefs d’entreprise à succès –hommes ou femmes– affirmant qu’ils et elles sont plus efficaces en prenant le temps de s’arrêter, de pratiquer l’une ou l’autre forme de méditation. J’ai toujours trouvé un peu difficile à croire, mais pourquoi ces personnes mentiraient-elles? Et c’est sans doute un bon conseil que de chercher à être pleinement conscient du moment présent (mindfulness); sans ressasser trop de choses du passé et sans être à chaque instant préoccupé de ce qui va arriver dans le futur proche ou lointain.
Dans un sens un peu différent: le passionné de découvertes d’autres parties du monde que je suis est bousculé par cette formule de Lao Tseu que cite Kabat: «Sans franchir le pas de ta porte, connais les voies de sous le ciel. Plus loin tu vas, moins tu connais»! Mais la dernière phrase pourrait être proche ce que relèvent des scientifiques très actuels disant que plus ils apprennent, plus ils voient combien notre ignorance est grande.
Pour finir, voici une citation de Walt Whitman, penseur et poète du XIXe siècle américain: «J’existe tel que je suis, ça me suffit… Et que se réalise mon destin aujourd’hui ou dans dix mille ans, je peux allégrement l’accepter maintenant ou, avec la même allégresse, je peux attendre». Et Lao-Tseu encore: «As-tu la patience d’attendre que la vase retombe et que l’eau devienne claire?»
*Jon Kabat-Zinn. «Où tu vas, tu es». Paris: Jean-Claude Lattès, 1996/J’ai lu, 2013.