Soins en fin de vie: un souffle nouveau et des éléments pratiques précieux
Gian Domenico Borasio, chef du service universitaire de soins palliatifs à Lausanne, est l’auteur de «Mourir – Ce que l’on sait, ce que l’on peut faire, comment s’y préparer» récemment publié aux Presses polytechniques et universitaires romandes. Cet ouvrage est l’adaptation d’un livre qui a vivement retenu l’attention en Allemagne: «Über das Sterben» aux éditions C.H. Beck. Il y aborde les dimensions liées à la fin de vie dans notre société dans ses dimensions médicales, physiques, psychosociales, spirituelles et juridiques; ainsi que les manières d’être meilleur à ces égards.
L’auteur évoque la vexation narcissique que représente pour beaucoup de médecins le fait qu’un patient meure. «Cette attitude de “refus d’un échec” est répandue dans les pays occidentaux et provoque des souffrances inutiles à bien des patients et leurs familles.» Et il rappelle la belle formule ancienne: «Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours».
S’agissant de fin de vie, on parle beaucoup de bienveillance médicale. «Ne confondons pas bienveillance avec paternalisme. La bienveillance ne revient pas à décider pour son patient, mais à l’aider à prendre lui-même la décision la plus appropriée. Son autonomie est inaliénable».
La peur de mourir de soif ou par étouffement sont des angoisses répandues. «Presque automatiquement, médecins et soignants prescrivent du liquide par voie intraveineuse et de l’oxygène par voie nasale.» Ces points font encore débat, alors que cela ne devrait plus être le cas: «Ces deux mesures présentent deux inconvénients majeurs: elles sont inutiles et elles nuisent au patient.» Puis plus loin: «Toutes les études scientifiques concluent que la pose d’une gastrostomie percutanée endoscopique (GPE) chez des patients déments sévères n’atteint aucun des objectifs visés». (lire à ce propos les pages 99 à 108 qui évoquent également l’usage souhaitable de la morphine.)
Des soins interdisciplinairesL’interdisciplinarité est au cœur des soins palliatifs. Cette évidence s’est d’emblée imposée à Cicely Saunders, fondatrice de cette médecine qui a été créée en 1967 au St Christopher’s Hospice à Londres. Ayant suivi plusieurs formations, elle réunissait dans sa seule personne les trois professions clés des soins palliatifs: médecin, infirmière et assistante sociale.Dans des conditions optimales, «plus de 90% des personnes en fin de vie pourraient mourir en bénéficiant d’un bon accompagnement sans n’avoir jamais vu un médecin spécialiste de soins palliatifs. C’est possible à condition que tous les praticiens aient acquis les connaissances nécessaires».
Dans plusieurs pays, le chemin a été balisé par l’adoption de stratégies nationales de soins palliatifs. Il y a pourtant «toujours un risque que des acteurs défendant des intérêts particuliers freinent le processus».
Assistance spirituelle reconnueL’importance de l’assistance spirituelle est maintenant largement reconnue «Pour la première fois dans l’histoire de la médecine moderne, la définition d’une discipline place les problèmes psychosociaux et spirituels au même niveau». Par exemple, selon la définition de l’OMS, les soins palliatifs «cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle par la prévention et le soulagement de la souffrance et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés.» Il y a peu encore, on ne prêtait parfois guère attention dans les hôpitaux au service d’aumônerie: «La communication avec les aumôniers était à peu près nulle. Le climat a changé (…) Aujourd’hui, les Eglises délèguent leurs meilleurs pasteurs dans les hôpitaux. Et alors que l’œcuménisme en général a tendance à stagner, les expériences de coopération en milieu hospitalier ont la cote.»
Les aumôniers d’hôpitaux, lorsqu’ils sont adéquatement formés, effectuent un travail impressionnant, reconnaît Gian Domenico Borasio. «L’état de conscience limité d’un patient ne les empêche pas d’accomplir leur mission. Ils arrivent à se mettre à la place de malades dont “il n’y a plus rien à attendre”. Cette faculté d’empathie est très utile lorsque la décision relative au traitement est difficile à prendre.» Sous l’impulsion de l’auteur, le premier poste européen de professeur en assistance spirituelle au sein d’une Faculté de médecine a été créé en 2010 à Munich.
Réussir l'entretien avec son médecinLe patient doit rester au centre et Gian Domenico Borasio lui propose une liste de douze conseils pour «réussir l’entretien avec son médecin», parmi lesquels:
- 1. Réfléchissez si une personne de confiance devrait vous accompagner (…);
- 6.Commencez par raconter au médecin – s’il ne vous le demande pas spontanément – ce que vous savez, pensez ou supposez déjà;
- 7.Parlez de vos peurs, de vos espoirs et de vos craintes;
- 8.Posez tout de suite une question si vous ne comprenez pas;
- 10.Demandez au médecin d’expliciter toutes les alternatives de la stratégie thérapeutique qu’il recommande (…) En cas de maladie très grave, demandez-lui si un traitement exclusivement palliatif ne serait pas aussi une bonne alternative.
Les attitudes et sentiments de malades en phases terminales ne sont pas ce qu’on imaginerait: «Dans le contexte de la fin de vie, on observe chez tous les patients d’une recherche de Martin Fegg (2005) un déplacement des valeurs égoïstes vers les valeurs altruistes. Le résultat se vérifie indépendamment de la religion ou du type de maladie».
Un chapitre de l’ouvrage parle des dispositions souhaitables pour sa fin de vie, notamment des directives anticipées. Nous devrions tous envisager d’en rédiger. Gian Domenico Borasio insiste sur l’importance dans ce cadre de réfléchir et formuler nos valeurs personnelles principales et propose une série de questions à se poser. (voir p. 114-118)
Resistances contre les soins palliatifsLa promotion des soins palliatifs est aujourd’hui largement reconnue comme nécessaire. Bien que conscient d’un certain conservatisme, le rédacteur de cette analyse est interpellé par les craintes de blocage ou diversion des efforts. L’auteur le relève à plusieurs reprises. On aimerait croire qu’il force le trait et que ses collègues et partenaires, à la faculté, à l’hôpital et ailleurs, reconnaissent le bien-fondé d’objectifs et de méthodesdifférents quand on parle de lutte contre la souffrance irréversible en fin de vie.
Des travaux scientifiques montrent que les soins palliatifs, tout en se distançant de l’obstination thérapeutique, permettent en réalité de prolonger la vie plutôt qu’ils ne la raccourcissent – et qu’ils le font dans des conditions, en particulier de relation humaine, bien meilleures.
La grande expérience clinique et humaine du Prof. Gian Domenico Borasio transparaît dans ce livre. Sa lecture peut être hautement recommandée aux professionnels de la santé comme à ceux d’autres domaines concernés.