La Cour Suprême des Etats-Unis se penche sur un recours chrétien à l’«Obamacare»

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La Cour Suprême des Etats-Unis se penche sur un recours chrétien à l’«Obamacare»

27 mars 2014
La nouvelle Loi sur la couverture médicale accessible, entrée en vigueur aux Etats-Unis, impose aux employeurs de faire bénéficier leurs employés d’une assurance-maladie qui inclut la couverture de moyens de contraception. Un péché pour les familles propriétaires de deux sociétés. Elles ont porté l’affaire en justice. La Cour Suprême –dans ce qui sera, selon certains commentateurs, sa décision la plus importante de l’année– devra décider si une entreprise à des droits religieux et en cas de réponse positive déterminer si cette nouvelle loi bafoue effectivement la liberté religieuse.

Photo: «Le contrôle des naissances: ce n’est pas l’affaire de mon patron» rappellent les pancartes de ces militants pro-choix de New York @ProChoiceNY

Washington (RNS / Protestinter) Deux sociétés –une détenue par des évangéliques, la seconde par des mennonites– ont fait appel à la justice contre l’«Obamacare», la réforme de la santé menée avec peine depuis octobre dernier aux Etats-Unis. Les plaignants estiment que le gouvernement les force à choisir entre enfreindre la loi et trahir leur foi.

Mardi 25 mars, la Cour Suprême s’est penchée sur cette situation nébuleuse où les droits religieux d’un employeur entrent en conflit avec les intérêts de ses employés et avec ceux du gouvernement.

D’un côté Hobby Lobby, chaîne de magasins de bricolage et Conestoga Wood Specialities cabinetry company, entreprise d’ébénisterie, toutes deux propriétés de familles pieuses. Et de l’autre côté le gouvernement fédéral des Etats-Unis pour qui les femmes ont le choix parmi vingt méthodes de contraception, selon la loi sur la couverture médicale accessible de 2010.

Un tremblement de terre en matière de droit religieux

La Cour chargée des questions légales est clairement divisée sur ce qui pourrait être un tremblement de terre en matière de droits religieux aux Etat-Unis. Il se pourrait que dans ce cas, ce soit la voix du juge centriste Anthony Kennedy qui fasse pencher la balance d’un côté ou de l’autre; comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises sur des questions religieuses ou de droit des minorités. Une entreprise a-t-elle des droits religieux? Et dans ce cas sont-ils bafoués par l’«Obamacare»?

La famille Green, propriétaire de Hobby Lobby et la famille Hahns, propriétaire de Conestoga, refusent de payer pour l’ensemble des médicaments et moyens de contrôle des naissances tel que préconisé par l’«Affordable Care Act», la loi sur la couverture médicale accessible. Pour ces familles, la plupart de ces méthodes causent l’avortement. Inclure cela dans l’offre d’assurance de leur société est un péché à leurs yeux.

La juge Elena Kagan défend la position du gouvernement. Elle admet que les convictions religieuses de ces deux familles sont, sans aucun doute, sincères. Mais, selon elle, exempter ces familles d’appliquer cette nouvelle loi, serait la porte ouverte à des exemptions pour une multitude d’employeurs refusants divers services médicaux en raison de conflits religieux: de la vaccination à la transfusion sanguine.

Augmenter les salaires plutôt que de financer une couverture maladie

Elena Kegan rappelle que la loi laisse une autre possibilité aux propriétaires d’entreprises. «C’est une option dont on parle peu. Hobby Lobby pourrait choisir de ne pas fournir de couverture maladie à ses employés.» En application de la loi sur les soins médicaux, la société devrait alors payer une taxe à la place, celle-ci serait comparable au coût d’une couverture santé, selon la juge.

Un argument qui ne convainc pas Paul D. Clement, l’avocat des deux entreprises. Cette taxe est, en fait, une pénalité. Ces entreprises souffriraient de devoir appliquer une telle mesure. Elles devraient augmenter les salaires pour compenser leur absence de plan de couverture médicale. «Cela sera certainement ressenti comme une punition.»

Prouver l’existence d’un besoin impérieux avant de réduire les libertés religieuses

Paul D. Clement, ancien procureur général, s’est fortement appuyé sur l’autre loi qui est au cœur de cette affaire, la loi sur la protection de la liberté religieuse, Religious Freedom Restoration Act (RFRA), en vigueur depuis une vingtaine d’années, qui oblige le gouvernement à satisfaire aux critères juridiques les plus rigoureux avant d'empiéter sur les droits religieux. Le gouvernement doit prouver l’existence d’un besoin impérieux avant de réduire les libertés religieuses. Il doit aussi montrer que, pour atteindre son objectif, il a choisi l’option la moins restrictive pour la liberté de conscience.

Une solution serait qu’un tiers prenne en charge ces coûts, propose Paul D. Clement. Pourquoi est-ce que l’Etat ne financerait pas le coût des moyens de contraception auxquels s’opposent ces entreprises? De l’argent public intervient déjà pour la couverture santé des petites entreprises employant jusqu’à 50 personnes. «L’Etat pourrait faire la même chose pour les employeurs objecteurs de conscience».

Et inutile de craindre qu’entreprise après entreprise, les demandes d’exemption se fassent en raison de la voie ouverte par les Green et les Hahn. La sincérité de leurs convictions est, dans ce cas, évidente. Mais un assaut de société demandant des dérogations au nom de RFRA, «cela ne va pas arriver dans la vraie vie», ironise Paul D. Clement. Mais Elena Kagan a rétorqué que les Palais de Justice n’avaient pas à juger de questions telles que la sincérité religieuse.

Une entreprise n’a pas de droits religieux

Le procureur général Donald B. Verrilli, qui défend la position du gouvernement, a tenté de pointer des lacunes dans l’argumentaire de Paul D. Clement en questionnant, en premier lieu, le droit qu’aurait une compagnie de porter plainte au nom de la RFRA. À son avis, une entreprise n’a pas de droits religieux. Si la Cour décidait d’accorder des droits religieux à des sociétés, ce serait «une vaste expansion de la volonté du Congrès (le Parlement) en 1993».

Le Président de la Cour, John Roberts a suggéré que bien que les entreprises n’aient pas de convictions religieuses, par elles-mêmes, cela ne signifie pas qu’elles ne doivent pas être protégées des discriminations religieuses. Il fait une comparaison: «Toutes les cours d’appel ont traité des cas où des sociétés ont dénoncé des cas de discriminations raciales en tant que société. Est-ce que cela signifie que les entreprises ont une race?» Mais pour Donald B. Verrilli cette situation est différente.

L’affaire Citizens United jugée, en 2010, est aussi citée en exemple dans cette affaire. La cour avait alors décidé que les entreprises ont la liberté de parole. Les partisans des familles propriétaires de Hobby Lobby et Conestoga considèrent ainsi que les droits protégés par le premier amendement s’appliquent certainement également aux sociétés.

Pas de besoin impérieux puisqu’il y a de nombreuses exceptions

Le juge Antonin Scalia a souligné un potentiel point faible dans la position du gouvernement: comme il a accordé des exceptions pour les entreprises de 50 employés et moins ainsi qu’aux églises, comment l’administration peut-elle prouver que cette loi est conçue pour répondre à un besoin impérieux? «L’argument du besoin impérieux ne tient pas, justement en raison des nombreuses exceptions», estime Antonin Scalia. Donald B. Verrilli ne suit pas cet argument: «Oui les Eglises sont exemptées, mais la loi a toujours accordé un statut particulier aux Eglises et aux autres associations cultuelles.» D’autres groupes religieux sont considérés à tort comme exempté, a-t-il ajouté. Quand ils se sont adaptés: leurs employés peuvent toujours bénéficier des moyens de contraception.

Quant aux entreprises employant 50 personnes au maximum, elles sont exemptées d’appliquer la Loi sur la couverture médicale accessible pour le moment. Mais c’est typique de la mise en application d’une importante loi fédérale, comme cela a été le cas avec la Loi en faveur des Américains vivants avec un handicap: cela prend du temps avant que le texte s’applique pour tous, argumente Donald B. Verrilli.

Il conclut ce débat sur les intérêts contradictoires entre employeurs et Etat en rappelant que «les droits des employés devraient être au centre de nos débats», mais ils ne sont pas traités comme tels. «Ils sont laissés sur le bas-côté.»

Les verdicts de ces deux affaires jumelles Sebelius contre Hobby Lobby Stores Inc. et Conestoga Wood Specialties Corp. contre Sebelius sont attendus pour la fin juin. (Kathleen Sebelius est la secrétaire à la Santé et aux Services sociaux des États-Unis.)

(job)