, Salt Lake City

L’idée qui a motivé cette pratique soutient que «tout succès en matière de développement n’est possible que si l on est prêt à prendre des risques ce qui, inévitablement, conduit à des échecs. Il est de plus important de célébrer ouvertement ces échecs afin de mieux apprendre de nos erreurs et de créer une culture qui encourage la créativité et la prise calculée de risques.»

Imaginons pour quelques instants une culture qui célèbrerait les échecs comme une source essentielle d’apprentissage! Une telle culture mettrait alors en valeur les initiatives et les audaces, reconnaîtrait qu’il n’y jamais de bilan absolument négatif et s’intéresserait avant tout, dans l’évolution d’un projet ou d’une institution, à sa capacité d’autocritique.

Dans notre société où l’évaluation des individus et de leurs performances est basée sur une méritocratie simpliste (un système garanti de cause à effet), une telle culture déstabiliserait sans doute notre sens de la réussite. ISP a trouvé un moyen intelligent et provocateur de renverser les schémas et de mettre en valeur, non pas uniquement les produits tout finis, mais le processus d’essais et d’erreurs qui se cache derrière tout accomplissement.

Tout cela résonne un peu comme parole d’évangile et cette éthique du renversement chère à certaines paroles de Jésus, en particulier Matthieu 20:16, Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers et Luc 14:11, Car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé. Dans les deux cas, les critères habituels de réussite sont mis en question et finalement inversés.

La politique d’excellence qui a aujourd’hui envahi le milieu universitaire, social, politique et scientifique ne laisse guère de place pour célébrer les échecs. Certains s’inquiètent de cette politique d’excellence, mais nombreux sont ceux qui s’y prêtent avec ferveur, espérant bien entendu être reconnus pour leur excellence.

Dans le milieu universitaire américain, le discours de l’excellence contrôle tout. Il n’y a plus de place pour le progrès simple ou l’acquisition de connaissances fondamentales.Tout doit être au superlatif! Il faut être le meilleur en tout, devenir number one sur toutes les listes! Ce discours a déjà bien influencé le monde européen.

Cette politique d’excellence, avec la rhétorique qui l’accompagne, n’est-elle pas dans le fond le moyen le plus sûr d’éliminer ceux et celles qui ne font pas partie de «l’élite sociale»? Et l’élite sociale est celle qui définit évidemment l’excellence. Cercle vicieux qui tend de plus en plus à limiter la réussite à un tout petit nombre.

Au milieu de tout cela, une organisation qui célèbre ses échecs offre un souffle de fraîcheur bénéfique! Et je me demande si l’église n’aurait pas un rôle a joué dans ce débat, si l’église n’aurait pas pour tâche d’offrir, elle aussi, une manière de parler des échecs de façon constructive et valorisante. Où sommes-nous, nous aussi, pris au piège de la politique de l’excellence?

• Chronique rédigée à l'issue d'une conférence donnée près de Toronto, donnée par George Roter, le co-fondateur de l’organisme d’entraide Ingénieurs Sans Frontières/Canada (ISF: http://legacy.ewb.ca/fr/index.html).
  
  
• On peut lire/télécharger les Failure Reports (publiés en anglais seulement) sur le site de ISF: http://legacy.ewb.ca/en/whoweare/accountable/failure.html
  
  
• Un article dans Libération qui s’attaquait déjà au concept d’excellence en 2010: http://www.liberation.fr/politiques/2010/12/02/l-excellence-ce-faux-ami-de-la-science_697720
  
  
• A VOIR: La lutte de tous contre tous - «A bas l’excellence!» par le philosophe français Luc Boltanski: http://www.youtube.com/watch?v=AGOD2Vc6W1A