La religion, opium du peuple?

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La religion, opium du peuple?

Anne-Sylvie Mariéthoz
14 octobre 2013
Les jeunes Suisses qui se déclarent croyants et pratiquants sont moins nombreux à consommer du tabac, du cannabis ou de l’ecstasy, que les jeunes du même âge qui se disent athées. Une étude soutenue par le Fonds national suisse (FNS), réalisée auprès de 5387 recrues, l'affirme. Réactions contrastées de deux théologiens.



«La dépendance à l’égard de Dieu, on l’a beaucoup fustigée en parlant «d’opium du peuple». On l’a souvent présentée comme une forme d’aliénation», relève Lytta Basset, professeure de théologie pratique à l’Université de Neuchâtel et accompagnatrice spirituelle. «Mais tant mieux! Réjouissons-nous si la vie spirituelle, l’enracinement dans une foi, permet au contraire de trouver de la joie de vivre et du sens.»

La théologienne se dit «peu surprise par cette découverte» et trouve qu’elle fait écho à son expérience. Parmi les personnes qu’elle accompagne, elle voit bien que pour beaucoup, «la vie a été tellement écrasante et déstructurante – et l’est encore!- qu’elles auraient très bien pu toutes basculer dans l’alcool, la drogue ou une autre addiction.» Or personne, quel que soit son vécu, n’est à l’abri de ressentir un vide à un moment donné, «un manque qu’il faut combler par la recherche de sensations», remarque-t-elle.

Quête de sens

«Cela montre assez finalement que l’être humain a besoin d’un ancrage et il me semble que ça nous amène du côté de la quête de sens.» Ce qui la fascine encore et toujours dans sa pratique d’accompagnatrice, c’est de constater que pour beaucoup de personnes, cet enracinement a permis de ne pas sombrer lorsqu’elles étaient malmenées par l’existence.

Si de l’extérieur on peut le percevoir comme une autre forme de dépendance, on peut aussi dire que «cette ouverture vers une dimension spirituelle, vers le Tout Autre – qu’on l’appelle comme on veut! – met à l’abri de chercher d’autres opiums, plus délétères.»

Nuances nécessaires

S’il n’est pas non plus étonné par les résultats mis en évidence par cette étude du FNS, Pierre Bühler, professeur de théologie systématique à l’Université de Zurich, reste cependant sur sa faim. Pour les 543 jeunes gens qui se disent croyants et pratiquants (environ dix pourcents des sondés), la conviction religieuse semble constituer un facteur de protection contre les comportements addictifs, mais cela mériterait d’être approfondi.

«Est-ce la croyance en tant que telle qui fait que l’on est moins exposé, le fait que l’on fasse confiance à une entité supérieure, que l’on soit guidé par des préceptes moraux plus solides, ou encore l’effet de contrôle exercé par la communauté?» Les auteurs de ce sondage, qui s’inscrit dans une recherche plus large sur les comportements addictifs, s’attèlent à identifier non plus seulement les facteurs de risque mais aussi les facteurs de protection et c’est une orientation à saluer. Mais en l’état, cette étude laisse encore trop de questions ouvertes, selon lui.

Des pistes à creuser

Le Dr Gerhard Gmel, du service d’alcoologie du CHUV qui dirige cette recherche, entend précisément affiner ces aspects dans les mois qui viennent. C’est un premier dépouillement des données qui a mis au jour cet écart entre croyants et athées, une différence suffisamment significative selon son expérience de chercheur, pour mériter l’attention. Il s’agira d’établir dans une prochaine étape, ce qui se joue exactement dans cet effet de protection.

Est-ce que ces résultats s’expliquent par la foi en elle-même ou par l’environnement des personnes concernées? Contrairement aux deux théologiens, il se dit surpris par cet écart, qu’il n’avait pas postulé au départ. Mais l’option de recherche lui semble en tout cas tout à fait actuelle et prometteuse.

Les résultats de l’étude C-SURF
(Cohort Study on Substance Use Risk Factors) en bref

Les chercheurs ont sélectionnés un échantillon de 5387 jeunes Suisses de vingt ans qu’ils ont interrogés sur leur consommation de substances addictives. Le sondage a permis d’établir que ces jeunes gens entretenaient des rapports différents avec ses produits selon qu’ils se déclaraient croyants ou non.

Parmi les 543 jeunes hommes qui se disent croyants, 30 pour cent fument quotidiennement des cigarettes, 20 pour cent fument du cannabis plus d’une fois par semaine et moins de 1 pour cent a consommé de l’ecstasy ou de la cocaïne au cours de l’année précédente.

En revanche, sur les 1650 jeunes hommes qui se déclarent athées, 51 pour cent fument quotidiennement, 36 pour cent fument du cannabis plus d’une fois par semaine, tandis que 6 et 5 pour cent d’entre eux ont consommé respectivement de l’ecstasy ou de la cocaïne au cours de l’année précédente.