Les Eglises peuvent-elles encore faire un travail de mission en 2013?

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Les Eglises peuvent-elles encore faire un travail de mission en 2013?

12 septembre 2013
La mission, terme très marqué 19e, a-t-elle encore un sens aujourd'hui? Pour en parler, ProtestInfo a rencontré Jacques Küng, directeur de DM – Echange et Mission, le département missionnaires des Eglises protestantes romandes, qui fête ses 50 ans cette année*. Sur le terrain, la mission a changé** tandis que DM s'engage aussi en Suisse.

Jacques Küng reçoit dans son bureau, rue des Cèdres à Lausanne, un haut lieu du protestantisme romand. Cet homme de 56 ans, qui a passé sa vie avec sa famille entre Lausanne et le Rwanda, a un lien fort à DM – Echange et Mission depuis le début de sa carrière. Rencontre avec lui et Bertrand Quartier, porte-parole de l'organisation.

«Actuellement, nous sommes en appui de l'Eglise, appelée le synode de Syrie et du Liban, et des familles réfugiées syriennes recueillies par des paroisses et des paroissiens au Liban», explique Bertrand Quartier.

«Nous ne travaillons pas seulement en appui, poursuit-il. Nous envoyons aussi des personnes sur le terrain, en moyenne 15 par année. Ce qui a changé, c'est la durée du séjour. Auparavant, les envoyés partaient pour 5-10-15 ans ou même toute une vie. Désormais, les personnes restent 6 mois - un an - deux ans, deux ans étant considéré comme du long terme.»

On peut vivre notre statut de minoritaire non pas dans le registre de l'angoisse et de la nostalgie, mais dans celui du témoignage et de l'engagement.

«Sur le terrain, la concurrence religieuse est grande, confie Jacques Küng. Au Rwanda ou au Cameroun, le nombre d'Eglises a augmenté de manière exponentielle. Des individus s'autoproclament pasteur, créent des communautés et prônent la théologie de la prospérité.»

«Et les Eglises partenaires avec lesquelles nous travaillons nous disent aussi vouloir continuer à collaborer avec nous pour développer une spiritualité qui ne soit pas une spiritualité de fuite, mais une spiritualité qui permettent d'assumer ses responsabilités dans la société, explique Jacques Küng.

«Des paroissiens sur place se désolent parce que leurs jeunes passent leur nuit en prière et en parler en langue, puis ne sont plus en état d'aller suivre des cours le lendemain à l'école, et finalement ratent leurs examens. Nos Eglises partenaires veulent des témoins avec une colonne vertébrale et pas une carapace», précise le théologien vaudois.

Les relations avec les Eglises d'ailleurs peuvent aussi aider les Eglises d'ici à relativiser les problèmes qu'elles rencontrent aujourd'hui. «Ce ne sont pas les premières à connaître des problèmes financiers. Et beaucoup d'Eglises vivent aussi dans une situation de minoritaires, ce qui est loin d'être facile.»

Et il lance: «On peut vivre notre statut de minoritaire non pas dans le registre de l'angoisse et de la nostalgie, mais dans celui du témoignage et de l'engagement. Le contact qu'on peut établir avec les gens d'ailleurs peut renforcer cette dynamique-là.»

«On veut des gens debout»

Ce qui reste et ce qui a changé dans le travail de mission? «Assurer le lien avec les Eglises ailleurs reste, mais maintenant, nous avons le mandat d'aider les Eglises d'ici à assurer leur travail de mission en Suisse. Même si ceci n'est pas tout à fait nouveau.*** On entend maintenant dans les Eglises en Suisse romande 'que faisons-nous en terme d'évangélisation'?»

«Le témoignage des personnes qui travaillent en Eglise va s'intensifier. Sur ce plan, les personnes qui sont parties sur le terrain ont un atout. On passe d'une période où l'on n'osait pas trop dire ses convictions à une autre où témoigner devient une nécessité. Cela est lié à notre 'nouveau' statut de minoritaire en tant que croyant protestant.»

Quels sont les buts et les projets de DM – Echange et Mission ? «Au nom de l'Evangile, les Eglises ont à être des agents de transformation de la société. Et là-bas et ici, travailler à la formation des jeunes à la citoyenneté, ou plus précisément à l'engagement. Ce qui ne se résume pas simplement à une posture ou à des paroles», précise Bertrand Quartier. «On veut des hommes et des femmes debout comme agents de solidarité, de justice, de dialogue.»

«D'autant plus dans un monde où les fondamentalismes religieux quels qu'ils soient deviennent de plus en plus inquiétants », poursuit Jacques Küng. Au travers du dialogue, de la formation, on peut quitter les carapaces des fondamentalismes religieux ou politique.»

Bio-express

Jacques Küng est allé au Rwanda avec sa famille avant et peu après le génocide, dont on marquera les 20 ans l'an prochain «pour leur prouver qu'ils existent». Pour les personnes sur place, «recevoir des gens qui viennent d'ailleurs, cela signifie qu'il y a ailleurs des gens qui savent que nous sommes vivants.»

Jacques Küng est né à Payerne en 1957, la même année que sa femme Hélène Küng à la tête du Centre social protestant. Jacques Küng et elle sont partis en 1980 au Rwanda pour enseigner la théologie pour DM – Echange et Mission après s'être rencontrés en Faculté de théologie à Lausanne.

«Nous avions été très marqués pendant notre formation par un professeur aujourd'hui décédé Klaus-Peter Blaser: il avait une expérience de travail et d'enseignement théologique en Afrique et était très ouvert sur le monde oecuménique. Dans son cours de missiologie, il avait invité les responsables de DM – Echange et Mission de l'époque, à venir parler de leur engagement au Mozambique et nous avions trouvé cela passionnant.» Ils devaient rester un an, ils sont finalement restés six ans à former des pasteurs et a assuré l'aumônerie à l'Université nationale du Rwanda.

Ensuite de retour en Suisse, Jacques Küng a assumé la tâche de père au foyer avec ses deux premiers enfants pendant un an. Il a ensuite travaillé une dizaine d'années comme pasteur à la paroisse de la Sallaz, puis à celle de St-Jacques pendant sept ans avant de reprendre en 2004 la tête de DM.

«En août 95 un an après le génocide, nous sommes repartis au Rwanda sur demande de DM – Echange et Mission avec nos quatre enfants de 5, 7, 10 et 12 ans. Une année difficile, dense, mais passionnante autant du point de vue familial que professionnel. Vu d'ici, les gens trouvaient qu'on était complètement fous de partir en famille au Rwanda si peu de temps après le génocide. Une seule phrase: nous avons vraiment eu raison d'y aller!»

Quels étaient les plus grands besoins à ce moment-là au Rwanda? «D'ouvrir des espaces de dialogue pour permettre aux gens de reprendre la vie ensemble. Dans l'Eglise presbytérienne, nous nous sommes retrouvés avec une trentaine de pasteurs contre 50 en 1986. Certains d'entre eux n'ont pas survécu au génocide, d'autres étaient partis à l'étranger, et d'autres encore avaient été emprisonnés.»

Il s'agissait de remettre en route la formation des pasteurs pour plusieurs Eglise protestantes.
«Les premiers jours, les gens arrivaient et n'osaient pas se regarder. Il a fallu faire connaissance, raconter son parcours de vie, reconstruire quelque chose de l'ordre de la dignité des uns et des autres, au travers d'un travail sur des textes bibliques aussi.»

Il poursuit: «Nous avons beaucoup travaillé l'histoire de Joseph et de ses frères. C'est un récit qui s'étend sur une trentaine d'années depuis le moment où Joseph est vendu par ses frères et celui où ils le retrouvent en Egypte. Une des participantes m'a confié: 'cela fait deux ans que mon mari a été assassiné. Des gens me disent que si je veux être une bonne chrétienne, je dois oublier et pardonner, mais je n'y arrive pas. Mais en travaillant ce texte sur Joseph, je me rends compte que le temps fait partie du processus.' Ces pasteurs et autres personnes que nous avons cotoyés font partie aujourd'hui de ceux qui reconstruisent le tissu social au Rwanda.»

«Si je résume le défi qui est le nôtre: participer à la construction d'un réseau de solidarité des gens de l'espérance qui disent qu'un monde différent est possible. Résurrection en grec veut dire cela, être debout», conclut le Vaudois.

  • LIENS: DM organise de nombreux événements dès cet automne pour célébrer ses 50 ans. Davantage d'infos sous: www.dmr.ch


*Pour comprendre la nouvelle dynamique d'échange, Jacques Küng propose quelques lignes écrites par le pasteur Jean-Blaise Kenmogne, qui a créé une ONG de l'écologie et le développement durable, active au Cameroun, au Bénin et à Yaoundé.

«La présence des Envoyés au sein de la CIPRE ne relève pas de la logique d'une quelconque aide au développement qui viendrait pallier au manque de ressources humaines locales par l'envoi d'experts chargés de mener une politique édictée par des institutions internationales qui ont des solutions prêtes-à-appliquer sur le terrain. La logique dans laquelle le CIPRE s'inscrit est celle de l'engagement commun des Eglises dans la transformation sociale, à travers des projets où les énergies locales et les partenaires sont mus ensemble par une même volonté de l'Evangile en action.»


**Lier le travail à l'étranger et en Suisse était en fait directement mentionné au moment du lancement de DM:

- Extraits du discours de l'évêque anglican Leslie Newbigin, directeur de la Division des mission et d'évangélisation du COE lors du lancement de DM – Echange et mission le 23 novembre 1963 à la Cathédrale de Lausanne.

"Nous reconnaîtrons qu'une Eglise est engagée dans sa tâche missionnaire sur le plan mondial à la manière dont elle remplit cette tâche missionnaire autour d'elle, dans son voisinage immédiat. Une des causes de la faiblesse des Missions de notre temps est le fait que celles-ci ont trop souvent agi en fonction d'une image de 'païens', dont on entendait parler, mais qui étaient hors de vue; en fonction de l'image de peuplades infiniment distantes dont on connaissait seulement ce que les rapports de missionnaires faisaient entrevoir.

Il était dès lors possible d'éprouver pour les Missions outre-mer un enthousiasme qui n'embrassait en rien les voisins du quartier. Désormais, les 'païens' ne sont plus lointains. Nous sommes mêlés les uns aux autres. Il faut en arriver à considérer que la mission de l'Eglise est toujours la même, qu'il s'agisse d'atteindre les habitants de sa propre ville ou les populations des extrémités de la terre. Partager le Christ avec tous doit être l'expérience familière de la vie paroissiale et non pas le privilège des missions à l'étranger."