La dernière attraction touristique d’Istanbul

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La dernière attraction touristique d’Istanbul

Muriel Schmid
19 juin 2013
A Istanbul pour quelques jours, ma première destination fut Gezi Park pour y visiter le campement d’
Occupying Istanbul. Après les dernières images télévisées des manifestations, je m’attends à un quartier démoli ressemblant à un grand terrain vague.

, Istanbul

Mais Gezi Park (photo: US. DAILY NEWS) a des airs de camping et de foire aux idées: des tentes partout, mais aussi des tables et des stands, des gens qui discutent, fument, boivent du thé et informent les passants. Cet endroit est devenu la dernière attraction touristique de la ville.

D’après les récents chiffres, l’industrie du tourisme à Istanbul est centrale à l’économie du pays et s’accroît à la vitesse grand V. La ville a reçu presque 12 millions de visiteurs étrangers en 2012, pour un revenu approchant les 11 milliards de dollars (l’ensemble du tourisme en Turquie a rapporté un peu plus de 29 milliards en 2012). Les pronostics pour 2013 promettent de plus hauts chiffres encore.

Le gouvernement d’Erdoğan devra très probablement tenir compte de cette réalité lors de ses prochaines décisions face aux revendications des manifestants. Les manifestants, eux, ont trouvé des alliés parmi les touristes. Pour l’instant, très peu sont ceux qui ont annulé leur projet de voyage à Istanbul, les rues et les restaurants autour de Taksim sont bondés et Gezi Park accueille les touristes avec un sourire.

Les forces de l’ordre sont partout

Pourtant, les forces de l’ordre sont partout autour de Taksim. Samedi soir, la police a évacué de force et de manière violente les résidents de Gezi Park. J’ai vu les dernières heures du campement d’Occupying Istanbul dans le parc. Le soir, depuis mon appartement, j’ai suivi les assauts de la police, les gens qui couraient, l’odeur des gaz lacrymogènes, le bruit des tirs.

À chaque fois, la violence policière augmente. Beaucoup de touristes, comme moi, se protègent des attaques. Certes de nombreux internationaux sont venus rejoindre les rues d’Istanbul en signe de solidarité, mais la plupart des touristes apprécient le sensationnel sans vouloir trop se mêler de politique.

Pour cette Europe qui a tant misé sur une Turquie laïcisée, il est temps de réfléchir sérieusement à ce que cela implique aujourd’hui. Laïque/religieux, est-ce d’ailleurs la seule alternative? À quel prix?

Le gouvernement turque est en crise. Beaucoup d’éléments semblent peser dans la balance et les revendications des manifestants touchent à de nombreuses dimensions: la laïcité, la corruption, l’urbanisme, etc. Lors de mon séjour au Kurdistan, nous avons beaucoup parlé des négociations de paix entamées entre les représentants du PKK et le gouvernement d’Erdoğan.

L’analyse la plus intéressante que j’aie entendue venait d’une doctorante en sciences politiques d’origine turque qui terminait des recherches à l’Université de Douhok sur la réalité des réfugiés kurdes. Pour elle, la rhétorique de la «paix» ne servait qu’à l’établissement d’alliances stratégiques qui visent à faire de la Turquie l’acteur principal du paysage économico-politique de la région.

La Turquie peut se tourner vers L'Europe ou s'ancrer dans la région et devenir un acteur incontournable dans le Proche et Moyen Orient. Cela implique, sur le plan religieux, deux directions opposées. Si c'est en direction de l’Europe, celle-ci demande une Turquie laïcisée. Si c'est en direction du Proche et du Moyen Orient, l'identité musulmane de la Turquie est sans doute essentielle. Les images des dernières manifestations donnent des indices clairs: on le camp pro-Erdoğan avec des femmes portant le hijab et celui des opposants avec de jeunes gens sans marque religieuse.

La réponse aux manifestations de ces dernières semaines à Istanbul et dans les autres villes importantes de Turquie montre un visage gouvernemental dur. L'aura positive qui entourait la Turquie après les négociations avec la résistance kurde de Turquie en sort ternie. Ce qui était salué comme une étape majeure dans la démocratisation en Turquie - le droit d’existence accordé aux quelques 20 millions de Kurdes qui vivent dans le pays -, est maintenant éclipsé par la répression policière des revendications populaires.

Dimanche soir, je suis toujours à Istanbul et la tension monte visiblement. De mon appartement j’entends déjà les échos de ce qui promet être une longue nuit. Que vont faire les touristes? Pour l’instant, ils sont nombreux à porter un masque et un casque et à rejoindre le front, mais dans la durée qu’adviendra-t-il de la solidarité? Pour cette Europe qui a tant misé sur une Turquie laïcisée, il est temps de réfléchir sérieusement à ce que cela implique aujourd’hui. Laïque/religieux, est-ce d’ailleurs la seule alternative? À quel prix?

A VOIR: Tourisme à Istanbul sur CNN