Changement de culture chez les protestants suisses

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Changement de culture chez les protestants suisses

Tania Buri
5 juin 2013
La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) s'apprête à vivre un changement majeur. De simple Fédération rassemblant 26 Eglises cantonales, elle se rêve en une Eglise protestante en Suisse.


, Berne

«Wir wollen Kirche werden. Nous voulons devenir Eglise», a déclaré Gottfried Locher, le président de la FEPS (photo) mardi à Berne devant la presse. La déclaration peut surprendre. Comment les protestants peuvent-ils douter de former une Eglise? Pour ceux qui les connaissent un peu, on sait leur allergie viscérale à la centralisation et à la hiérarchie. Les 26 Eglises réformées de Suisse, qui existent chacune dans leur canton, n'avaient jamais jusqu'ici délégué une partie de leur autorité spirituelle à une organisation nationale.

C'est en tout cas le projet que soumet en consultation la direction de la FEPS aux directions des 26 Eglises et à la population dès le 17 juin sur www.feps.ch/fr/revision-de-la-constitution.

Les propositions ne s'arrêtent pas là. Un synode national devrait remplacer l'assemblée des délégués. Une fête rassemblerait les protestants suisses tous les deux ans comme le font déjà les Français et les Allemands. Et le ou la président(e) de la FEPS se verrait doter de pouvoir, dont certains sont proches de ceux des évêques luthériens ou catholiques.

Des protestants plus visibles

Certes, le ou la président (e) pourra porter une parole spirituelle dans la société, mais «la direction de l'Eglise protestante de Suisse sera tripartite», a nuancé Peter Schmid, vice-président de la FEPS. Le synode, le conseil et le président seront membres à part égale de la direction de l'Eglise protestante en Suisse.

Mais pourquoi envisager un tel changement de culture, analogue au plan politique - toute proportion gardée, à celui de création de la fonction présidentielle en Suisse? «Le protestantisme pourra ainsi acquérir une voix audible et claire à l’échelle de la Suisse», défend Gottfried Locher, mais aussi au niveau international et face aux autres confessions.

«Quand nous sommes en relation avec les catholiques ou les orthodoxes, ils n'ont pas 26 Eglises cantonales à consulter avant de pouvoir prononcer une parole», a poursuivi en substance le quadragénaire bernois.

S'ouvrir aux nouvelles communautés

Autre nouveauté: les communautés, et plus seulement les Eglises, pourraient désormais devenir membres de l'EPS. «Cette possibilité s'adresse à des communautés comme celle des soeurs de Grandchamp par exemple, mais aussi aux facultés de théologie et pourquoi pas à des communautés virtuelles qui existeront sur le net. Nous voulons ouvrir les possibilités d'adhésion aux différentes formes que prendra la vie religieuse à l'avenir», a expliqué Kristin Rossier Buri, vice-présidente du Conseil de la FEPS.

Enfin, l'organisation de l'Eglise protestante en Suisse sera double: l'une relevant du droit ecclésial et ayant la capacité de produire une parole spirituelle, l'autre relevant du droit privé (association) et s'occupant des finances. Dans cette deuxième organisation, les Eglises seront représentées selon leurs poids financiers. Au synode, le poids financier aura moins d'importance, «mais les détails n'ont pas encore été réglés», a précisé Kristin Rossier Buri.

Reste à découvrir comment les Eglises cantonales, dont le fédéralisme est chevillé au corps, vont réagir à ces propositions. Elles ont un an pour prendre position avant les premiers débats en assemblée des délégués en juin prochain. Cette nouvelle constitution pourrait entrer en vigueur au plus tôt au 1er janvier 2016.

La Communion des Églises
protestantes de Suisse

Le président sortant de l'EREN, Gabriel Bader, s'est exprimé dans le dernier Bulletin de la FEPS sur le projet de nouvelle constitution. Extraits.

«Dans le cadre des réflexions liées à la révision de la Constitution de la FEPS, j’ai participé, avec un plaisir immense, à un groupe de travail chargé de donner des impulsions théologiques au processus. Le groupe s’est longuement penché sur la question d’une ecclésialité nationale du protestantisme.

Le groupe y défend l’idée générale que l’Église est toujours comprise dans ces trois dimensions: une dimension locale (en principe, la paroisse), une dimension synodale (souvent, en Suisse, liée aux cantons) et une dimension plus large qui correspond à une forme de communion d’Églises, au sein de laquelle les Églises synodales s’entendent pour réaliser des projets.

Au sens de ce groupe de travail, la FEPS pourrait être reconnue comme «Communion des Églises protestantes de Suisse» et bénéficier ainsi d’une légitimité ecclésiale. L’on pourrait alors parler d’une Église suisse. Encore faudra-t-il définir ce qui réalise cette communion: s’agit-il d’une gouvernance d’Église, d’une coordination opérationnelle ou encore d’accords à trouver sur des options ecclésiologiques fondamentales?

À titre personnel, je ne me satisfais de cette impulsion que dans la mesure où elle continue d’interroger la multisynodalité de notre Église suisse. Car, à mes yeux et idéalement, l’Église réformée ne repose pas sur trois dimensions; elle est bidimensionnelle: presbytéro- synodale. L’exercice de l’autorité s’y exerce au niveau local (paroisse) et au niveau global (synodal).

Toute autre forme de communion avec des Églises protestantes, chrétiennes est nécessaire et renforcera, c’est vrai, sa légitimité mais il me paraît difficile d’intégrer une «Communion des Églises» dans des processus décisionnels contraignants. Cette limite n’est pas sans conséquence sur l’idée d’une Église suisse. Je ne peux m’empêcher de continuer de rêver à un Synode suisse qui aurait la compétence de définir une mission pour les paroisses de la Suisse, éventuellement regroupées en régions.»

Cet article a été publié dans :

Les quotidiens vaudois et genevois 24 Heures et La Tribune de Genève le mercredi 5 juin 2013.