La tombe du poète de l’Islam

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La tombe du poète de l’Islam

22 mai 2013
Je suis à l’aéroport de Konya, une ville turque d’un peu plus d’un million d’habitants située environ à 470 km au sud-est d’Istanbul
Konya ne se trouve pas forcément sur les circuits touristiques classiques; on y vient un peu par accident, souvent parce que l’on traverse la Turquie en voiture.

Par Muriel Schmid

Pour ma part, une conférence organisée par l’une des universités de la ville m’y a amenée, l’Université de Necmettin Erbakan, fondée il y a à peine 3 ans mais qui attire un nombre grandissant d’étudiants. Le thème de la conférence: religion et paix, un sujet plutôt vaste!

Cadre inhabituel

La grande majorité des participants sont d’origine turque et de religion musulmane, un cadre auquel je ne suis pas habituée. Je suis là en témoin, à écouter ces théologiens d’une autre tradition s’exprimer sur le lien complexe entre religion, violence et pacifisme. Ils parlent des stéréotypes dont souffre l’Islam, des fausses représentations et des extrémistes qui monopolisent le discours sur l’Islam. Leur ton ressemble à celui d’avocats qui défendent une cause presque perdue pour lesquels il est difficile de développer une approche constructive, proactive au lieu de réactive.

J’ai eu la chance de visiter la ville un jour avant que la conférence ne débute. Une étudiante en master d’histoire des religions m’a servi de guide et emmenée sur les sites historiques de Konya. Konya est connue dans le Nouveau Testament sous le nom d’Iconium, un lieu de passage pour Paul (voir Actes 14, 1-7) et la trace des premières communautés chrétiennes est encore visible dans certains villages environnants, Sille en particulier.

Le grand poète perse Rûmî

La gloire de Konya cependant tourne autour de la figure du grand poète perse Rûmî (1207-1273) qui s’installe dans cette ville aux alentours de 1228, fuyant avec ses parents son village natal de Balkh (aujourd’hui en territoire afghan) devant l’invasion mongole. Initié au Soufisme, il devient lui-même un maître soufi en 1240 et fonde alors l’ordre des derviches tourneurs; son surnom, Mawlānā, signifie «notre maître».

Sa ville d’adoption, Konya, est devenue au fil des siècles, un lieu quasi-sacré, au centre duquel la tombe de Rûmî attire de nombreux admirateurs et pèlerins. À l’occasion du 800e anniversaire de la naissance de Rûmî, l’UNESCO déclarait 2007 l’année Rûmî et Konya se transforma en hôte privilégié de nombreuses festivités commémoratives.

Mysticisme soufi

Désormais très connu aux États-Unis et enseigné dans de nombreux curricula, Rûmî n’a fait son entrée dans la langue française que tardivement, grâce en particulier à l’islamologue française, Eva de Vitray-Meyerovitch (1909-1999) qui traduisit la quasi-totalité de son œuvre. Elle-même convertie à la foi musulmane, elle voit chez Rûmî un visage de l’Islam qui mérite d’être diffusé, celui du mysticisme soufi. La dimension spirituelle du Soufisme se définit par une foi intérieure, une pratique méditative et l’affirmation d’un Dieu d’amour universel.

Les participants à notre conférence sont nombreux à faire allusion à Rûmî et à son héritage. Le dôme vert de sa tombe qui resplendit au cœur de Konya, sert de phare et oriente les conversations sur l’Islam et ses valeurs pacifiques. Dans le fond, Konya est un endroit rêvé pour traiter de ce thème, si profondément imprégné de l’esprit de Rûmî et de ses visions:

«Lumière divine,
pleine de particules dansantes
et toi grand rond grondant,
nos âmes dansent avec toi,
sans pieds, elles dansent,
les vois-tu quand je te murmure à l’oreille?
Ils spéculent sur ta nature,
spirituelle ou sensuelle?»

Dans ma présentation pourtant, j’ai insisté sur le fait qu’on ne pouvait pas uniquement se reposer sur les figures héroïques du passé. Notre devoir est d’interroger notre présent aussi et d’élever des voix critiques contre toutes les formes d’exclusion et de violence que nos propres traditions religieuses entretiennent. Personne n’est exempté, cet exercice est la tâche de tous et toutes quelle que soit notre foi. Les figures du passé sont simplement là pour nous inspirer; Rûmî et ses derviches tourneurs possèdent certes la beauté et la légèreté nécessaires à toute forme d’inspiration.

Dans l’avion entre Konya et Istanbul

Je suis dans l’avion entre Konya et Istanbul; le vent nous porte et je m’éloigne de la tombe du grand poète de l’Islam. Je ne sais si je reviendrai un jour à Konya; du côté chrétien, nous commémorons Pentecôte, un récit qui, en fin de comptes, encourage le prosélytisme et un travail missionnaire qui a eu des résultats dramatiques dans l’histoire du christianisme. Il faudrait en parler; à bien y regarder, ce n’est pas un récit qui promeut la paix.

Quelques sites utiles :

- Article Wikipédia sur Rumi

- Site sur Konya et Rûmî

- Site de la conférence «Religious Studies and Global Peace»

- Page sur Iconium et Konya

- Quelques citations en français tirées de la poésie de Rûmî