Le dimanche – un enjeu de spiritualité moderne ?

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Le dimanche – un enjeu de spiritualité moderne ?

Otto Schäfer
7 mai 2013
Quel dimanche voulons-nous? Les Suisses devront se prononcer sur la libéralisation des horaires des magasins de stations-service. Les opposants, syndicats en tête, ont déposé leur référendum, muni de 85'000 signatures récoltées début avril à Berne.

, FEPS

En Suisse, le repos dominical est reconnu légalement. Ce n’est pas le cas de tous les pays européens. L’article 18 al. 1 de la loi sur le travail stipule en effet que «du samedi à 23 heures au dimanche à 23 heures, il est interdit d’occuper des travailleurs.»

La loi en question ne recouvre pas, il est vrai, toutes les branches d’activité (mais seulement l’industrie, l’artisanat et le commerce) et elle admet des dérogations motivées. Certaines exemptions, importantes, ont été ajoutées ces dernières années, notamment le commerce situé dans les aéroports et les gares à forte fréquentation et un nombre annuel de quatre dimanches pour lesquels les cantons peuvent autoriser l’ouverture des magasins.

Le repos dominical sous pression

Depuis les années 80 déjà, le repos dominical est sous pression; actuellement, plusieurs initiatives et motions visant la libéralisation des heures de travail et des heures d’ouverture des magasins ont suscité ou suscitent encore de vifs débats. Parmi les défenseurs du repos dominical figurent les syndicats et les Églises.

Le 26 avril 2012 ils ont constitué ensemble l’Alliance suisse pour le dimanche libre. Des organisations protestantes, comme par exemple l’Église méthodiste, membre de la FEPS et les Femmes protestantes, y adhèrent. Est-ce à dire que les Églises mènent le même combat, en la matière, que les syndicats ?

Pas tout à fait, c’est évident – malgré un bon nombre de convictions et de préoccupations communes: le lien social auquel une journée libre commune contribue, la professionnels, les risques de pressions hiérarchiques ou conformistes que peuvent subir des travailleuses et des travailleurs acceptant de travailler le dimanche «de leur plein gré».

Pour les Églises, cependant, ces préoccupations d’ordre social s’appuient sur la dimension spirituelle du dimanche. Celle-ci dépasse la simple légitimation historique du sabbat dans les Écritures saintes, puis du dimanche dans l’histoire du christianisme. Elle dépasse aussi – en l’incluant, bien sûr – la fréquentation du culte ou de la messe le dimanche matin.

Le dimanche représente la gratuité

Les Églises vont plus loin. Elles estiment qu’un rythme régulier, périodique, de tension et de détente, de mouvement et de repos, d’effort et de recueillement, est essentiel pour le bien-être spirituel de toutes et de tous – et non seulement des chrétiens. Au milieu du «donnant-donnant» de nos vies, le dimanche représente la matérialisation temporelle commune de la gratuité.

Le rythme commun, concordant, rend la gratuité visible et palpable. Dans le document «Protégeons notre dimanche, resserrons les liens de notre communauté » de 2005, adopté par toutes les Églises membres de la Communauté de travail des Églises chrétiennes en Suisse (CTEC), on lit déjà: «Le dimanche se soustrait à toute justification simpliste.»

En soi, il n’apporte rien à l’économie et à la prévoyance matérielle. C’est peut-être justement cette absence de valeur concrète, cette inaptitude comptable qui fait la valeur du dimanche. Il n’existe pas dans un but particulier. Il existe par lui-même. Tout simplement.»

«Le dimanche marque une limite dans nos existences conditionnées»

«Le dimanche marque une limite dans nos existences conditionnées par la nature, l’histoire, le travail et le capital. Le dimanche – comme le sabbat, comme le vendredi des musulmans (dont le caractère de jour de repos est beaucoup moins affirmé cependant) – n’obéit à aucun rythme naturel, contrairement à la journée, au mois et à l’année solaire.

De ce fait, le dimanche renvoie à une liberté qui nous vient d’ailleurs. Il ouvre une brèche dans l’épaisseur du monde. Cette expérience est commune aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans malgré tout ce qui sépare les trois religions. C’est pour cela sans doute qu’au niveau européen, dans le cadre de la European Sunday Alliance à laquelle participe la FEPS, on n’observe pas d’hostilité de la part des autres religions du Livre à l’égard de la défense du dimanche (L’intérêt pragmatique des commerçants de religions minoritaires y est sans doute pour quelque chose aussi).

Le problème n’est pas le dimanche (de préférence au samedi ou au vendredi) mais l’homogénéisation des jours de la semaine et la perte progressive d’un jour hebdomadaire mis à part.

Le calendrier révolutionnaire avait aboli le dimanche en remplaçant la semaine de sept jours par la décade – rythme naturel qui se compte sur les doigts des deux mains. L’évolution actuelle, largement déterminée par un libéralisme économique exacerbé, n’implique aucune abolition formelle: en multipliant les options individuelles, elle tend à la dispersion du repos commun dans l’activité incessante désormais diluée par des repos individuels. Ce processus est déjà très avancé dans plusieurs pays européens, notamment la Grande-Bretagne.

La provocation du dimanche

La disparition du dimanche éliminerait du temps hebdomadaire la provocation d’un au-delà du monde présent. Or, c’est cette provocation-là qui détermine le dynamisme des civilisations marquées du sceau des religions du Livre. Le calendrier musulman superpose à l’année calendaire habituelle, solaire, l’année sainte, strictement lunaire, composée de 12 mois à 30 jours. Le calendrier religieux de 360 jours se décale donc lentement de l’année des saisons naturelles (365/366 jours).

Au fil des années, la période du jeûne, le ramadan, traverse toutes les saisons. Le temps consacré à Dieu n’est pas le temps conditionné par la nature. Cette affirmation centrale vaut aussi pour le sabbat et le dimanche (sans que l’on force l’analogie par ailleurs).

L’adhésion ou non à la foi relève de la liberté religieuse de chacune ou de chacun. Personne n’est contraint de conférer au dimanche la signification spirituelle chrétienne qui le fonde (et qui entretient elle-même un rapport complexe avec le sabbat juif). Tout le monde est concerné, cependant, par le rappel périodique de la possibilité même d’une transcendance, d’une liberté venant d’ailleurs.

Le dimanche est humanisant

Le dimanche est humanisant. Il est un élément de spiritualité non seulement religieuse maispas seulement: il manifeste un monde non clos et qui ne se réduit pas aux déterminismes de la nature, de l’histoire, du travail et du capital.

Le dimanche permet de se retrouver soi-même. «Toutes occupations cessantes, voici que tout devient calme autour de l’homme et en lui: dans la tranquillité retrouvée, il arrive pour la première fois que, de sujet, il devienne un objet pour soi. L’antique 'Connais-toi toi-même' peut prendre ici toute sa place et tout son sens. » (Karl Barth). C’est pourquoi non seulement la dimension sociale mais aussi la dimension spirituelle du dimanche s’étend au-delà des Églises à la société tout entière.