Un nouveau musée juif à Varsovie sur le site de l'ancien ghetto
Une déchirure rappelant la fracture historique subie par la communauté juive de Pologne traverse le cube gris vert enveloppé de verre et de cuivre. «Nous voulons montrer la vie des juifs de telle sorte que la Pologne ne soit pas vue seulement sous l’angle de l’Holocauste», a expliqué la vice-directrice Dorota Keller-Zalewska.
Dans les quatre étages au-dessus du sol se trouvent une salle de concerts et des locaux permettant d’accueillir des ateliers, des séminaires et des expositions. On a reconstitué aussi le plafond d’une synagogue datant du 17e siècle. L’exposition principale s’ouvrira en 2014. Et les visiteurs auront deux étages souterrains et 4000 mètres carrés pour découvrir l’histoire millénaire des juifs de Pologne, du Moyen Age à nos jours.
Le projet a été lancé au milieu des années 90 par l’Association de l’Institut historique juif de Varsovie, organe responsable du musée aux côtés de l’État et de la ville. L’association finance l’exposition pour un montant correspondant à 25 millions d’euros provenant de dons, parmi lesquels un don de cinq millions de la République fédérale d’Allemagne. Les frais de construction du musée, couverts par l’État polonais, s’élèvent à environ 50 millions d’euros.
Cinq ans de travauxSous le soleil printanier, l’enveloppe extérieure du bâtiment situé sur la place des Héros du ghetto de Varsovie jette des lueurs gris vert. En s’approchant de la construction spectaculaire, on distingue sur les façades de verre des lettres entrelacées. «C’est le mot ‘Pologne’, écrit en polonais et en hébreu», indique Dorota Keller-Zalewska, vice-directrice du nouveau Musée de l’histoire des juifs de Pologne.
En hébreu, Pologne se dit ‘Po lin’, ce qui signifie à peu près «ici, je peux me reposer». Tel est aussi le concept du nouveau musée juif qui vient de s’ouvrir aux visiteurs après plus de cinq ans de travaux.
«Musée de la présence» et pas seulement de l'HolocausteSelon Marian Turski, survivant d’Auschwitz et l’un des promoteurs du projet, c’est un «musée de la présence» – en contraste avec les nombreux lieux rappelant le souvenir de l’extermination des juifs par l’Allemagne nationale-socialiste. Sur les 3,3 millions de juifs qui résidaient en Pologne en 1939, très peu survécurent au massacre.
L’Holocauste n’est cependant pas exclu du nouveau musée. L’emplacement de celui-ci ne le permettrait pas: le nouvel édifice se trouve sur le site de l’ancien ghetto de Varsovie, directement en face du monument commémoratif de l’insurrection des juifs du ghetto qui éclata il y a 70 ans, le 19 avril 1943.
Jusqu’au 16 mai, date de l’écrasement de l’insurrection par les occupants allemands, le musée organise des présentations de films, des soirées théâtrales, des concerts, des promenades à travers la ville et des débats. Une première exposition thématique montrera à partir de la mi-mai des films d’amateurs historiques sur la vie quotidienne des juifs dans l’entre-deux-guerres.
Quelque 70% des 14 millions de juifs dans le monde ont des ancêtres polonaisLe thème de l’extermination est repris aussi dans l’architecture du musée. Une déchirure symbolique de béton en forme de vague, visible de l’extérieur à travers une paroi de verre, traverse le cube architectural, rappelant la fracture intervenue dans l’histoire de plusieurs siècles des juifs en Pologne. «Mais cette déchirure ne sépare pas complètement les deux parties, il y a aussi un pont», indique Keller-Zalewska à propos du concept des architectes finlandais Rainer Mahlamäki et Ilmari Lahdelma.
Mais le musée lui-même doit aussi servir de pont. Les Polonais vont apprendre à mieux connaître la partie juive de leur histoire. Les festivals de culture juive suscitent d’ailleurs un intérêt croissant. Jusqu’ici, le projet de musée a rencontré beaucoup d’échos très positifs dans les médias polonais. Les visiteurs juifs y retrouvent aussi leurs racines – quelque 70% des 14 millions de juifs dans le monde ont des ancêtres polonais.
Musée laïqueLe musée, placé sous la responsabilité de l’Association de l’Institut historique juif, de la ville de Varsovie et du Ministère de la culture polonais, affiche toutefois un caractère clairement séculier: le fait que beaucoup de Polonais aient du temps pour une visite le samedi est plus important pour la direction du musée que le respect du sabbat en tant que jour de repos juif.
Le cœur du musée – l’exposition principale – ne s’ouvrira au public qu’au début 2014. L’exposition principale sera répartie sur deux étages souterrains et 4000 mètres carrés racontant en huit stations l’histoire de plusieurs siècles des juifs en Pologne.
La présentation, qui commencera avec les premiers juifs dans le royaume de Pologne au Moyen âge, montrera le développement de la culture juive urbaine, avec le quartier juif ou «shtetl», pour arriver à l’époque moderne; elle racontera les périodes de répression, les premières vagues d’émigration, l’extermination des juifs sous l’occupation, jusqu’au recommencement dans la Pologne de l’après-guerre.
Réplique d’une synagogue de bois du 17e siècleOn peut voir aujourd’hui déjà la réplique en filigrane du plafond d’une synagogue de bois du 17e siècle, époque de l’épanouissement de la diaspora juive en Pologne. La somptueuse mosaïque du plafond a été reconstruite fidèlement à l’original, avec des méthodes artisanales traditionnelles, sur la base de photos et de dessins.
«Ce ne sont pas les pièces exposées qui sont au premier plan ici, nous voulons plutôt créer des processus, montrer l’enchaînement des événements», explique la directrice du programme Barbara Kirshenblatt-Gimblett. Cette professeure de New York est la fille de juifs polonais qui se sont enfuis au Canada en 1942, avant l’Holocauste. Durant quatre décennies, elle a interrogé son père sur ce qu’il avait vécu en Pologne. Ce concept du dialogue marque aussi l’exposition interactive multimédia. (FNA-28)