La crise économique en Europe du Sud pousse les migrants vers d’autres pays
Ce sont des lettres de services administratifs, des extraits de compte, des attestations que Julienne ne comprend pas car, si elle parle français et espagnol, elle ne sait pas l’allemand. Ce sont les papiers dont on a besoin en Allemagne pour commencer une nouvelle vie.
En fait, Julienne n’avait pas du tout l’intention de recommencer encore une fois. Au milieu des années 1990, la Camerounaise de 44 ans était arrivée illégalement en Espagne par le Maroc et Ceuta, aidée par des passeurs. Elle a vécu 16 ans à Madrid, s’est construit une existence en montant son propre salon de coiffure, une affaire qui marchait bien.
Elle a appris l’espagnol, et possède un passeport espagnol depuis huit ans. Mais les clients sont devenus rares, elle a dû fermer son salon. Dans l’Espagne en crise économique, elle n’a plus d’avenir.
Doublement migrants
Des gens tels que Julienne, arrivés comme migrants en Europe du Sud, qui ont vécu longtemps dans un pays et maintenant, du fait de la crise, doivent aller ailleurs, sont difficiles à distinguer dans les statistiques. S’ils ont un passeport d’un pays de l’UE, on ne mentionne plus qu’à l’origine ils sont arrivés d’un pays tiers.
Si, dans le pays de l’UE dont ils viennent, ils n’avaient qu’une autorisation de séjour de longue durée, ils doivent aussi solliciter un permis de séjour en Allemagne. En 2009, selon le Ministère allemand de l’immigration, 158 personnes l’ont fait; en 2012, elles étaient déjà 1788.
Les migrants qui arrivent d’Espagne et du Portugal en Allemagne sont avant tout des Africains, raconte Paraskevi Daki-Fleischmann, cheffe du Services de la migration et de l’intégration de la Mission intérieure à Munich. Parmi les migrants qui viennent de Grèce et d’Italie figurent plutôt des gens originaires d’Albanie, de Bulgarie ou de Serbie, ou de pays de l’ex-Union soviétique.
Dans les cours d’allemand donnés dans les Centres de perfectionnement professionnel de l’économie bavaroise (BFZ), on remarque ces nouveaux immigrants: «Les cas de personnes arrivées en Europe du Sud en provenance d’un pays tiers, ayant vécu longtemps dans leur pays d’accueil et venant ensuite en Allemagne étaient très rares jusqu’ici – peut-être deux par année», raconte Genia Rauscher, de l’organisation BFZ.
Maintenant, ces cas se multiplient – nous accueillons dans nos cours beaucoup de migrants arrivant surtout d’Italie: Syriens, Somaliens, Tunisiens et Marocains, qui parlent bien l’italien et ont parfois passé plus de dix ans en Italie.
Pourtant, il n’est pas facile de recommencer. «Ces gens se sentaient intégrés dans leur pays d’accueil», explique Paraskevi Daki-Fleischmann. «Maintenant, ils arrivent pleins d’espoir et pensent qu’en Allemagne ils auront rapidement des perspectives professionnelles. Mais leurs économies fondent vite.»
Peu après son arrivée à Munich, Julienne a trouvé un emploi de femme de chambre dans un grand hôtel de Munich. Mais après deux bonnes années, elle a perdu son emploi. «Toutes les personnes qui viennent me voir à la consultation des migrants veulent d’abord trouver du travail, quel qu’il soit», dit Marie-Bernard Corain, de la Consultation des migrants de Caritas à Munich.
«Le travail est la clé de tout»Ahmet (nom d’emprunt) aurait préféré lui aussi rester en Espagne – et lui aussi a déjà constitué depuis dix mois un sac en plastique plein de lettres de services administratifs allemands. Le jeune Ghanéen, aujourd’hui âgé de 30 ans, a vécu dix ans en Espagne, avec de faux papiers au début. Il a travaillé durement dans la culture des pêches et en tant que jardinier, dans des fabriques et dans la construction. Il a appris l’espagnol et même suivi une formation artisanale.
Mais il n’y avait plus de travail. «La situation de l’Espagne est très grave, elle est au bord de l’effondrement», dit-il. Mais Ahmet a besoin d’argent pour sa famille au Ghana, dont plusieurs membres dépendent de lui. Il est donc venu à Munich. D’autres Africains qu’il a rencontrés à la mosquée ou dans la rue l’ont aidé. Finalement, il a trouvé un emploi dans un restaurant fast-food. Maintenant, il espère trouver un logement – pour l’instant il dort ici et là, chez des connaissances, parfois aussi dans une pension.
«En Afrique, les gens pensent qu’en Europe l’argent coule à flots», dit Ahmet. La réalité est bien différente. «Mais on ne construit pas non plus un château en un jour.» D’abord, il doit apprendre l’allemand. Ensuite, il aimerait peut-être étudier l’économie ou la politique – il s’intéresse à beaucoup de choses.
Le rêve de Julienne est d’ouvrir à Munich un salon de coiffure spécialisé dans les tresses à l’africaine. Elle aimerait aussi que sa petite-fille, qu’elle a fait venir d’Espagne dans l’intervalle, fasse sa vie ici. La jeune fille, âgée de 13 ans, parle déjà si bien l’allemand qu’elle peut lire à Julienne les lettres de l’administration.
«Les débuts sont toujours difficiles. On doit lutter. Tant que tu vis, tu dois conserver l’espoir.» Mais plus tard, Julienne aimerait retourner au Cameroun – pour mourir à la maison, dit-elle. Elle ne veut en aucun cas finir ses jours dans une maison de retraite en Allemagne. (FNA-27)