Paul Ricœur pour Vendredi Saint
... puisque sa mère meurt peu de temps après sa naissance, et son père en 1915 dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. «Pupille de la nation», il sera élevé, avec sa sœur, par les grands-paternels et une tante. Cette expérience précoce de la disparition d’êtres chers et du deuil l’a-t-il préparé à se confronter à cette réalité douloureuse?
Toujours est-il que le problème du mal et de la souffrance est resté une constante dans sa réflexion philosophique, surgissant à différents endroits de ses publications: la grande Philosophie de la volonté se termine par un volume intitulé Symbolique du mal (1960); à l’occasion d’une conférence à Lausanne, en 1985, il parle du mal comme d’« un défi à la philosophie et à la théologie » (Le mal, Genève, Labor et Fides, 3e éd., 2004).
Mort d'un fils = «Vendredi saint de la vie et de la pensée»Mais ce mal ne lui sera pas non plus épargné dans sa vie. Dans les premiers mois de 1986, peu après cette conférence lausannoise, il perd l’un de ses fils par suicide. Il parlera de cet événement tragique comme d’un «Vendredi saint de la vie et de la pensée», suscitant un deuil interminable.
Pourtant, il y a en même temps, dans l’œuvre de Ricœur, l’affirmation constante de l’espérance, appelée à s’opposer à ce tragique du mal et de la souffrance, de la mort. Il y voit le moteur premier de la religion, s’opposant de manière tenace comme un «malgré», un «en dépit de» par rapport à tout ce qui vient lui faire obstacle.
Dans ce sens, la philosophie de Ricœur, ainsi esquissée brièvement, s’intègre bien dans la semaine sainte, avec sa tension entre la mort scandaleuse du Crucifié et la promesse du matin de Pâques que cette mort s’est muée en message de vie nouvelle.
Confronté dans les toutes dernières années de sa vie à la disparition de sa femme, Ricœur va rédiger des notes, des fragments de réflexion, en projetant un livre consacré au deuil, qu’il n’écrira plus. Ces notes sont parues de manière posthume dans un petit recueil intitulé Vivant jusqu’à mort suivi de Fragments (Paris, Seuil, 2007).
Caractère fragmentaireL’importance d’accompagner les autres dans leur mort, l’importance de la présence des autres dans sa propre mort, la conviction que Dieu nous gardera dans sa mémoire, la liberté à l’égard du souci de savoir ce qu’il restera de notre vie: autant de réflexions qui trouvent toute leur force précisément dans leur caractère fragmentaire. Les dernières notes constituent une esquisse pour une étude sur la résurrection, écrite le jour de Pâques 2005, quelques semaines avant sa mort.
Même si le thème est celui de la mort et du deuil, il se dégage une sérénité de cette volonté de rester «vivant jusqu’à la mort», une sérénité que Ricœur rattache à l’idée de la grâce divine (p. 78s) : «Seulement l’idée de la grâce. La confiance dans la grâce. Rien ne m’est dû. Je n’attends rien pour moi; je ne demande rien; j’ai renoncé – j’essaie de renoncer ! – à réclamer, à revendiquer. Je dis: Dieu, tu feras ce que tu voudras de moi. Peut-être rien. J’accepte de n’être plus. Alors, une autre espérance que le désir de continuer d’exister se lève.»
*De nombreux articles ont été publiés à l'occasion du centenaire de Paul Ricoeur, né le 27 février 1913. Vous pouvez relire ici l'article publié par ProtestInfo et écrit par Réforme.