La crise des vocations, agenda urgent des réformés romands

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

La crise des vocations, agenda urgent des réformés romands

Samuel Ramuz
19 novembre 2012
Le réveil sonne-t-il trop tard? Dans les Eglises protestantes de Suisse romande, la pénurie de ministres guette. Mieux profiler les métiers, solliciter la base ou professionnaliser le cursus de théologie: les pistes sont sur la table, mais les machines institutionnelle lourdes.


Depuis la reprise académique de septembre, 27 étudiants fraîchement immatriculés découvrent la théologie protestante dans les facultés romandes. La plupart à Genève (24, dont 16 à distance), les autres à Lausanne (3). Sur ces 27 théologiens en puissance, combien entameront un stage pastoral dans une des six Eglises réformées au bout de leur cursus, soit en 2017 au plus tôt? Dur à dire aujourd'hui.

Ce qui est sûr, par contre, c'est que c'est précisément autour de cette période que la plus grande d'entre elles, l'Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV), pourrait connaître une pénurie de ministres, consécutive à une vague de départs à la retraite (30 % du corps ministériel). Rares aujourd'hui, les postes vacants dans les Eglises romandes pourraient alors se compter par dizaines.

Conseiller synodal de l'EERV, Xavier Paillard se veut pourtant rassurant. « Nous n'engageons pas que des gens frais émoulus qui sortent des facultés, mais aussi des pasteurs plus âgés qui souhaitent exercer dans le canton de Vaud », explique celui qui est aussi le nouveau président de la Conférences des Eglises protestantes romande (CER). L'équation a donc plusieurs inconnues: finances ecclésiales, nombres de postes maintenus et nouvelles recrues. Xavier Paillard: « En fait, je suis inquiet si nous n'arrivons pas à préciser la manière dont l'Eglise peut diversifier ses métiers et les redynamiser. »

Stage pour entamer le master?

Tout l'enjeu est donc là. Mais en amont, la formation s'avère cruciale. Souvent chaotique ces dix dernières années, le lien entre Eglises et facultés de théologie semblent s'apaiser. Président du Collège protestant de théologie (CPT) – qui chapeaute toutes les filières de formation théologique réparties entre Genève, Lausanne et Neuchâtel –, Andreas Dettwiler jure ne pas oublier « la finalité pratique des études ». A l'image de ce qui se fait en faculté de droit ou, de façon plus aigüe, en médecine. C'est d'ailleurs le credo d'un projet de Haute école de théologie protestante (HET-Pro), porté entre autres par des théologiens réformés et évangéliques, comme Shafique Keshavjee (lire ci-dessous).

Ma préférence va pour un stage expérimental d'un semestre en début de master.

De son côté, Andreas Dettwiler, également doyen de la faculté de Genève, prêche par l'acte. Depuis 2010, le plan d'études au niveau bachelor renforce par exemple la part dévolue à la théologie pratique (18 crédits sur 180). Mais la plus grande nouveauté devrait survenir à la rentrée 2014. Inspiré du modèle alémanique, un stage dans un lieu d'Eglise permettrait aux étudiants de se frotter au terrain. Berne le place au niveau bachelor, Zurich en fin de parcours. « Ma préférence va pour un stage expérimental d'un semestre en début de master », explique le professeur Dettwiler, qui rappelle que de plus en plus d'étudiants n'ont pas de socialisation religieuse. L'assemblée du CPT tranchera en décembre.

Timide, la professionnalisation des études en théologie semble pourtant amorcée. Elle réjouit Didier Halter, directeur depuis janvier 2011 de l'Office protestant de la formation, entité qui pilote la formation initiale et continue de tous les pasteurs et diacres romands. Mais le cheval de bataille du pasteur valaisan, c'est avant tout l'harmonisation des cursus. Et lui aussi, il prêche par l'acte: « A moyen terme, tous les stagiaires romands devraient être à la même enseigne: durée de 18 mois pour tous, contre une année aujourd'hui (ndlr: sauf deux ans pour l'Eglise protestante de Genève), des critères de sélection communs et un suivi plus fin des maîtres de stage. » Calquée elle aussi sur le modèle alémanique, la durée de la formation initiale des pasteurs devrait passer de 45 à 60 jours. La CER doit encore valider ces options et le calendrier.

Le diacre, ce « travailleur communautaire »

A moyen terme toutefois, les volées actuelles d'une petite douzaine de pasteurs en herbe ne suffiront pas à contrer la crise des vocations dans les rangs réformés. Alors que faire pour doper l'attractivité de cette profession? On l'a dit, l'oeuf de Colomb se cache certainement dans une meilleure lisibilité des métiers d'Eglises. Le chantier est en cours à Genève. Dans le canton de Vaud, il devrait connaître une avancée significative en février 2013 lors du synode consacré aux ministères.

« On va probablement vers un corps professionnel de l'Eglise qui comptera moins de pasteurs et plus de gens issus d'autres professions », prédit le conseiller synodal Paillard. Le métier de diacre, par exemple, sera reprofilé. D'ici à 2015, les candidats, souvent au bénéfice d'une première formation professionnelle, pourraient suivre une nouvelle filière estampillé « travailleur communautaire » option Eglise. En cours de validation auprès de l'Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie, elle serait hébergée par une école spécialisée.

Fribourg et le Valais recrutent aussi

Mais dans l'immédiat, les Eglises s'attaquent à la pénurie qui se profile en sollicitant leur base. « Nous devons sensibiliser notre personnel en contact avec les jeunes à la nécessité de recruter, c'est un changement culturel », explique Fabrice Demarle, responsable des ressources humaines pour l'Eglise réformée évangélique neuchâteloise (EREN). Le pasteur appelle de ses voeux une promotion concertée entre les Eglises de la CER, un des enjeux de la récente refonte de ses statuts, qui permettent une plus grande réactivité.

Pour l'heure, un outil promotionnel commun est encore dans les limbes. Dans le canton de Vaud, un dimanche des vocations est prévu pour 2014. Et la journée d'Eglise de septembre prochain y sera consacrée. Mais l'EERV et l'EREN ne sont de loin pas les seules à recruter. Plus petites, les Eglises réformées valaisanne et fribourgeoise engagent, elles aussi.

A l'origine de plusieurs initiatives originales pour promouvoir les métiers ecclésiaux (stages découvertes pour jeunes, remplacements payés, formation en emploi) et de la plate-forme qui recense tous les postes vacants au sein de la CER, l'EREN doit pourtant se rendre à l'évidence: aucun étudiant neuchâtelois n'est actuellement inscrit dans une des trois facultés de théologie romandes. Or l'horizon est sombre. En 2018, l'EREN pourrait compter 13 postes (!) vacants sur les 52 actuels.


La théologie à l'uni, un credo réaffirmé par les réformés

En cette fin novembre, deux débats mettent la question de la formation théologique et ministérielle sur la table. Tout d'abord, ce mardi 20 novembre (20h), Graham Tomlin fait le déplacement de Crêt-Bérard (VD) pour un débat tout public. M. Tomlin est doyen du londonien et anglican « Saint Mellitus Thelogical Centre », créé il y a dix ans dans le sillage d'un renouveau de l'Eglise anglicane. Il est l'invité des promoteurs du projet romand de Haute école de théologie protestante (HET-Pro), proche, en l'état, d'une école des pasteurs.

« Notre objectif est d'abord de faire se rencontrer des responsables des Eglises et de la formation », a expliqué à ProtestInfo Shafique Keshavjee, théologien réformé et ancien professeur de la faculté de Genève. Des représentants de la CER participeront comme auditeurs à la journée qui suivra, le mercredi 21 (sur inscriptions). Les options proposées par la HET-Pro y seront débattues. Pour la CER, ça ne fait pas un pli: la formation théologique des ministres doit rester à l'uni. « Nous ne pouvons pas nous désolidariser de nos Eglises soeurs en Europe », avance en substance Xavier Paillard.

Andreas Dettwiler, qui s'exprimera comme président du CPT, tient lui aussi à la « fécondité des différents disciplines théologiques » dans l'académie. Il met en exergue le dialogue que sa place à l'université permet avec les autres branches qui y sont enseignées et le lien avec la société civile. Le doyen insiste aussi sur l'importance de la théologie pratique: « Cette discipline doit absolument rester académique, c'est une des originalités de notre identité réformée. »

Or, selon Xavier Paillard, « la théologie pratique s'érode, à cause de la fragilité de la faculté de Neuchâtel, au-dessous du seuil de viabilité ». Assistera-t-on, à terme, à un regroupement de tout l'enseignement de la théologie au bout du lac? « Nous attachons de l'importance à la qualité de la formation plutôt qu'à sa localisation. Ce n'est d'ailleurs pas à nous de décider », précise le pasteur vaudois.

C'est précisément à la faculté de Genève qu'aura lieu le 30 novembre un débat sur la théologie des ministères. S. R.

A écouter

L'émission Hautes fréquences de RTS la Première du dimanche 18 novembre a donné la parole à Xavier Paillard, conseiller synodal de l'EERV et à Jean-Claude Badoux, un des promoteurs du projet HET-Pro (on y trouve notamment un lien vers le descriptif du projet qui sera mis en discussion à Crêt-Bérard).