Quel avenir pour la théologie à l'uni?

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Quel avenir pour la théologie à l'uni?

Urs Hafner
19 octobre 2012
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Pendant des siècles, la théologie a dominé l'université. Aujourd'hui, elle est menacée d'être réduite à un statut d'outsider, dans une société sécularisée. Les facultés peuvent-elles rebondir? Coup de sonde alémanique. (Photo©Unige)


Pendant des siècles, la théologie a dominé l'université. Aujourd'hui, elle est menacée d'être réduite à un statut d'outsider, dans une société sécularisée. Les facultés peuvent-elles rebondir? Coup de sonde alémanique. (Photo©Unige)


Par Urs Hafner, NZZ

Que font vraiment les théologiennes et théologiens dans les universités? En tant qu’adeptes d’une confession, ils s’occupent de leur communauté de foi, de Dieu et du monde; ils interprètent la Bible, dont on fait l’exégèse depuis quelque 2000 ans, et ils étudient l’histoire des institutions religieuses, de la doctrine et de la pratique de la foi.

Que des facultés spécifiques soient à la disposition de groupes confessionnels dans des universités administrées par des Etats religieusement neutres peut étonner. Selon les principes scientifiques modernes, le scientifique doit effectuer ses recherches sans être soumis à une valeur quelconque, donc indépendamment de ses convictions politiques et religieuses. Il se confronte à son objet de recherche sans idées préconçues. Même si cet idéal est difficile, voire impossible à réaliser intégralement, il a plus ou moins fait ses preuves depuis le siècle des Lumières.

Prise en charge paradisiaque

Mais la théologie chrétienne ne s'en tient pas systématiquement à ce principe. Elle procède de manière normative, dans le sens où elle suit les commandements de son Dieu, explicitement ou non. Du coup, par exemple, une théologienne qui dialoguerait avec un sociologue est soupçonnée par celui-ci de ne pas travailler scientifiquement. Pour le sociologue, ce qui est vrai pour lui doit pouvoir être rationnellement vérifié par d'autres. Pour la théologienne en revanche, une force transcendante, qui n’est accessible que partiellement à la raison, est à l’œuvre dans ce monde. Pour elle, la Bible est plus qu'une œuvre humaine. Et si elle vient à l’oublier, son Eglise et les croyants qui l’entourent le lui rappellent avec insistance.

Pourtant, la théologie est fortement ancrée dans les universités. En Allemagne, on compte plus de 720 professeurs de théologie protestante et catholique. En Suisse, une centaine de professeurs et 150 chargés de cours enseignent à environ 1500 étudiants en théologie – ce qui constitue des conditions de prise en charge quasi paradisiaques en comparaison d’autres disciplines telles que les sciences humaines ou sociales.

En outre, la théologie bénéficie d’un traitement privilégié de l’Etat. Les différentes confessions – réformée, luthérienne, catholique, catholique chrétienne – possèdent leurs propres facultés. Les autres communautés de foi ne bénéficient pas de voies de formation universitaire pour leurs spécialistes religieux et leurs cadres, à l’exception de la communauté juive (instituts de judaïsme).

La théologie à l'uni... pour mieux la contrôler

La position universitaire solide de la théologie a des racines historiques. Du Moyen Age au 17e siècle, elle est la reine des sciences; en lien avec les autorités civiles, elle prescrit aux gens la manière dont ils doivent vivre et l’image du monde qu’ils doivent se faire; elle soutient et console également. Les doctrines de la foi sont élaborées dans les institutions chrétiennes.

Avec la victoire des mouvements libéraux du 19e siècle, les nouvelles élites séparent l'Eglise de l'Etat; à partir de ce moment, la foi devient une affaire privée.

Au milieu du 16e siècle, les réformateurs transforment les écoles des monastères et des abbayes en écoles bibliques philologiques et théologiques; à Zurich et à Genève naissent ainsi le zwinglianisme et le calvinisme. L’Université de Bâle, également réformée, la seule sur sol suisse au début de l’époque moderne, est plus ouverte en raison de son imprégnation humaniste, mais néanmoins dominée par la théologie. La théologie catholique, en revanche, perd de son influence avec la montée de la Réforme.

Avec la victoire des mouvements libéraux vers le milieu du 19e siècle, les nouvelles élites séparent l’Eglise de l’Etat; à partir de ce moment, la foi devient une affaire privée. Les écoles de théologie classiques sont dissoutes et transférées aux universités; l’Université de Zurich est créée en 1833, celles de Berne, Neuchâtel, Genève et Lausanne en 1834, 1838, 1873 et 1890. Avec la fondation de l’Université de Fribourg en 1889, issue comme la Faculté de Lucerne des collèges de jésuites de la Contre-Réforme, la théologie catholique recoit aussi une base universitaire. Ainsi, bien que les élites libérales aient des positions critiques vis-à-vis de l’Eglise, et parfois même de la religion, elles installent la théologie à l’université; pour mieux la contrôler et protéger les esprits de l’obscurantisme et de la superstition, selon l’historien de l’Eglise Markus Ries.

« Niches confessionnelles »

Aujourd’hui, la théologie est toujours logée à l’université, mais l’environnement a beaucoup changé. La théologie a perdu sa position dominante. Le paysage religieux de l’Europe est plus que jamais caractérisé par la sécularisation. Dans les zones urbaines, les citoyens sans confession ou sans religion sont majoritaires. A côté des confessions chrétiennes en diminution, on voit apparaître beaucoup de religions et de spiritualités nouvelles.

Les facultés de théologie ne sont pas prêtes à s’adapter à ces changements, estime Christoph Bochinger, professeur de science des religions à Bayreuth (A). Selon lui, « beaucoup d’instituts de théologie sont des niches de réflexion confessionnelle interne qui ne reflètent pas la nouvelle hétérogénéité des paysages religieux ». Parce qu’ils sont organisés par confession et dans leurs propres facultés, les théologiens restent entre eux, indique le professeur Bochinger: souvent, ils manquent de contacts non seulement avec ceux qui ont d’autres croyances, mais aussi avec les autres disciplines scientifiques.

Avec la science des religions, Christoph Bochinger représente une discipline née au 19e siècle et qui, à la différence de la théologie, se conçoit comme une science culturelle indépendante de la foi. La science des religions traite la religion comme un phénomène culturel humain parmi d’autres tels que la langue, la littérature ou la musique, explique-t-il. En tant que science empirique, elle renonce à répondre à des questions normatives telles que celles de la détermination de l’être humain ou de la vérité au sens théologique. « La théologie réfléchit le système religieux, elle ne fait pas partie du système scientifique. »

Dans ce système, la théologie se voit plus que jamais placée sur la défensive. L’imprégnation éthique de la pensée s’oppose à l’ethos scientifique. Le recueil d’essais théologiques publié récemment par l’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH) propose des considérations de nature d’abord morale. On y lit par exemple que la théologie catholique doit contribuer à une communauté de foi autocritique et communicative. On y lit aussi que la théologie protestante donne un éclairage critique sur les chances et les défis de la foi chrétienne face au devoir de s’engager dans les affaires publiques et de protester contre l’injustice.

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