Un Jésus révolté: la vision surprenante du peintre mexicain José Clemente Orozco
, Salt Lake City
...où j’ai passé deux ans à la fin des années 90: même architecture, campus semblable et surtout, l’impression d’être au sein d’un milieu si privilégié qu’on s’y sent très vite marginalisé (une année à Dartmouth coûte plus de $40 000 en écolage seulement).
J’ai du temps pour moi et je me rends à la bibliothèque pour y lire et travailler. A ma grande surprise, je découvre alors, dans l’une des salles de lecture, des fresques imposantes qui jurent passablement avec leur environnement. De gigantesques figures d’inspiration mésoaméricaine décorent les murs de la salle, des dieux inconnus et des symboles mystérieux s’entremêlent pour dire une histoire que je ne parviens pas à déchiffrer. Je me renseigne.
The Epic of American Civilization (L’épopée de la civilisation américaine) fut peinte entre 1932 et 1934 par l’artiste mexicain José Clemente Orozco (1883-1949). Invité à Dartmouth alors qu’il séjournait à cette époque à New York, Orozco se rendit à plusieurs reprises à Hanover afin d’y achever son projet. Le résultat final s’étend sur plus de 20 panneaux majestueux.
Evaluation lucide de du XXe siècleLe thème central de cette œuvre se résume dans la représentation d’un continent américain formé par la rencontre de deux cultures, celle des Européens et celles des indigènes. La rencontre a lieu sur le panneau central et sépare ainsi deux temps; le temps originel prend ses racines chez les dieux et les guerriers aztèques.
Que serait devenue la foi chrétienne si nous avions hérité d’un tel Christ, ressuscité certes, mais lui-même profondément iconoclaste? Un Christ qui refuse en fin de compte le salut par la violence?Il ne s’agit cependant pas d’une idéalisation naïve d’un passé disparu, mais plutôt d’une évaluation lucide de ce XXe siècle qui s’ébauchait alors entre les continents et les passés des uns et des autres: les victimes de la Première Guerre Mondiale vues comme la forme moderne des sacrifices humains; les effets violents de la colonisation représentés dans des scènes de destruction; la modernisation et ses effets pervers interprétés comme la mort du spirituel. Le christianisme est omniprésent: les missionnaires qui se joignent aux colons, les prêtres qui amassent fortune et des vautours au col romain qui détiennent les clefs du monde.
Orozco offre une image du christianisme et de l’Eglise qui se concentre sur le pouvoir, la conquête et la violence. En guise de conclusion, un Christ ressuscité se révolte contre son propre destin de victime expiatoire en abattant sa croix à coups de hache. Etonnante épopée et critique certaine d’une culture chrétienne européenne qui s’est perdue dans le sang de son histoire... y compris celui du Christ !
A la fois vision et méditation, je me perds dans cette fresque. L’image de ce Christ révolté me frappe évidemment et je me demande si Orozco espérait encourager ses spectateurs à repenser l’idée du salut telle qu’elle nous est présentée dans le christianisme. Que serait devenue la foi chrétienne si nous avions hérité d’un tel Christ, ressuscité certes, mais lui-même profondément iconoclaste? Un Christ qui refuse en fin de compte le salut par la violence?
Critique du capitalismeLes professeurs du département de l’histoire de l’art à Dartmouth sont prudents dans leur lecture des fresques d’Orozco; d’après eux, il ne faut surtout pas y voir une critique trop directe des valeurs prônées par le collège, mais davantage une critique générale de l’idéologie capitaliste occidentale et des symboles qui l’accompagnent.
Je quitte Hanover en emportant la brochure qui retrace l’historique de ces fresques; je me souviendrai certainement de cette vision à chaque fois que l’image du Christ servira à justifier quelque forme de violence que ce soit, exclusion, discrimination, élimination. Si seulement Jésus s’était révolté contre son destin!
A lireLe site internet des fresques d’Orozco à Hanover (NH)