Les multinationales, cheval de bataille de la Déclaration de Berne depuis plus de quarante ans
« Nous avons lancé l’alerte sur les multinationales dès les années septante », explique François de Vargas, ancien secrétaire romand de la Déclaration de Berne. Il ajoute: « La DB a été l'une des premières organisations à remettre en cause les agissements des multinationales et le secret bancaire à cette époque. »
Quarante ans plus tard, les bénéfices des multinationales qui jouissent d’un statut fiscal spécial s’élèvent à 62 milliards de francs en Suisse en 2009, révélait l’émission TTC de la RTS du 8 octobre dernier. C’est la première fois que des chiffres sur ce sujet sont rendus publics.
Pour rappel, les multinationales implantées sur le sol helvétique dont 80% des bénéfices sont effectués hors de Suisse, profitent d’un statut fiscal spécial et paient seulement 11% d’impôts contre 23% pour les autres entreprises, selon la loi sur la fiscalité des entreprises.
Face à ces révélations, le canton de Genève a annoncé, jeudi 11 octobre, être prêt a unifier l’imposition des multinationales à 13% si la Confédération compense une partie des pertes liées à cette modification. Une majorité de ces multinationales œuvrent dans le domaine du négoce des matières premières et risquent de quitter la Suisse si le taux d’imposition devient trop élevé.
« Le secteur du négoce est très opaque. La discrétion est presque le modèle d’affaire dans cette branche », souligne Olivier Longchamp, secrétaire à la DB et co-auteur du livre Swiss Trading SA. La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières, publié il y a un an. La pertinence de cet ouvrage a pu asseoir publiquement les compétences de recherches de la DB qui jouit d’une phase d’expansion depuis sa publication (voir encadré).
La DB sur tous les fronts
L’industrie textile dans les pays en développement ainsi que les enjeux liés aux brevets sur les médicaments sont deux autres sujets au centre des préoccupations de la DB. L’ONG suisse a lancé un appel à Novartis pour qu’il renonce à son action en justice contre la loi indienne sur les brevets. Un procès oppose Novartis à la Cour suprême de l’Inde pour imposer un brevet sur le Glivec, un médicament antileucémique. Les audiences finales ont lieu actuellement.
« Une victoire de Novartis équivaudrait en premier lieu à priver des milliers de patients atteints de leucémie de l’accès à un traitement vital », explique Géraldine Viret, responsable de la communication de la DB. Le Glivec ne guérit pas la maladie, il stabilise son évolution et doit donc être pris à vie. Son coût s’élève entre 25 et 30 000 francs suisses par année, contre 2000 francs suisses pour le générique de qualité identique.
Sur ce dossier, d’autres organisations, comme Médecins sans frontières, sont actives au côté de la DB. « Un succès est très rarement le fait d’une seule organisation », remarque la responsable de la communication. On retrouve les œuvres d’entraide Action de Carême et Pain pour le prochain dans la campagne Clean Clothes, pour l’amélioration des conditions de travail dans les pays producteurs de textile, qui est coordonnée en Suisse par la Déclaration de Berne.
« Les paroisses se sont activées »
Comment la Délcaration de Berne est-elle née? François de Vargas répond à trois questions sur les origines du mouvement.
ProtestInfo: On oublie parfois que la DB a été créée par des théologiens. Comment cela s’est-il passé?
François de Vargas: Oui, la DB a été créée par des théologiens et c’est la pensée de Calvin qui est derrière la démarche d’André Biéler. Tout a commencé en 1964. Le professeur de théologie et pasteur André Biéler avait été invité par la Fédération des Eglises protestantes suisses (FEPS) à faire une conférence à l’occasion du 400e anniversaire de la mort de Jean Calvin. Il a terminé sa conférence par la question: « Si Calvin vivait aujourd’hui que proposerait-il? »
C’était l’époque de la décolonisation et de la guerre froide. Les budgets pour l’armement étaient vertigineux alors que ceux consacrés aux pays du tiers-monde étaient dérisoires. André Biéler a proposé aux Eglises de demander la réduction des budgets militaires et l’augmentation de ceux octroyés pour les pays en développement. La FEPS n’a pas vraiment réagi.
André Biéler a alors cherché des soutiens dans d'autres cercles. C’est avec deux de ses collègues théologiens, Lukas Vischer et Max Geiger, qu’André Biéler a rédigé la Déclaration de Berne, en 1968. Plus de 10 000 personnes, de tout horizon, se sont engagé à verser entre 1% et 3% de leur salaire pour soutenir l’aide au développement.
La DB a-t-elle les mêmes valeurs qu’à ces débuts?
FdV: Oui, ce sont toujours les mêmes. L’objectif premier de la DB n’est pas d’amasser de l’argent mais bel et bien de changer la politique suisse. André Biéler a voulu secouer les Eglises pour qu’elles réagissent face à la situation dans le tiers-monde. Et il a réussi. Les paroisses se sont activées pour révéler la situation des pays en voie de développement et des groupes d’entraide ont vu le jour.
Comment la DB a réussi à survire et même se développer depuis 1968?
FdV : C’est parce qu’elle a toujours su garder un ton modéré et éviter soigneusement les appels anti-impérialistes dans les années septante. A cette époque, elle était un peu tiraillée entre les groupes militants de gauche et les églises, mais la DB a su rester focalisée sur ses objectifs. André Biéler a été un véritable pionnier. (L.V.)
NOUVELLE ETAPE POUR LA DB
« Nous franchissons une étape dans le développement de la Déclaration de Berne », se réjouit Raphaël de Riedmatten, responsable de la promotion et des publications. Deux nouveaux postes sont créés pour le secrétariat de Lausanne, en 2012. Actuellement, l’association compte huit postes pour la Suisse romande et une vingtaine pour la partie alémanique.
De plus en plus sollicitée, la DB expose ses recherches lors de séminaires de formation continue dans des universités et hautes écoles.
Depuis le mois de juin, un comité national, présidé par Pierrette Rorbach, a remplacé les trois comités régionaux avec une répartition équilibrée des régions linguistiques. De plus, Alfred Fritschi prendra la tête des secrétariats de Lausanne et de Zurich dès 2013. Ces changements n’auront pas d’impact sur les membres de l’association mais simplifieront le fonctionnement interne. (L.V.)