« La foi évite que la science ne tombe dans l’obscurantisme, et réciproquement »

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« La foi évite que la science ne tombe dans l’obscurantisme, et réciproquement »

30 août 2012
Expo itinérante, ateliers, concert, conférences: Pour fêter ses 50 ans, Cèdres Formation, à Lausanne, explore les liens entre sciences et spiritualité. « Une articulation fertile », selon son directeur, le pasteur Jean-François Habermacher. Interview.


Le jubilé de Cèdres Formation, lieu de formation théologique lié à l'Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), démarre samedi 1er septembre. A la cathédrale de Lausanne, le vernissage de l'expo « Je crois savoir » lancera officiellement un mois de festivités (lire ci-dessous).

ProtestInfo: Jean-François Habermacher, pourquoi empoigner le thème « Foi et science » à l'occasion de cet anniversaire?

JFH: Parce que règne, sur sol protestant du moins, une espèce d'armistice entre science et religion, qui considère que la science s'occupe du comment et la religion du pourquoi. Et les protestants semblent pouvoir vivre avec, sauf peut-être la frange fondamentaliste, qui voit encore une lutte acharnée entre les deux, notamment avec le créationnisme. Mais cette répartition des champs ne fonctionne plus.

Pourquoi cette distinction ne fonctionne-t-elle plus?

Parce que la science pose des questions de fond qui étaient autrefois des questions qui concernaient la religion. Par exemple : d'où venons-nous (Big Bang)? Où allons-nous (Big Crunch ou l’explosion du soleil et la fin de notre système solaire)? Sur ces questions règne une grande confusion des genres. Et c'est à mon avis typique, par exemple, du créationnisme, qui considère peu ou prou le texte biblique comme un texte scientifique. Dans cette perspective, l'hypothèse Dieu devient une hypothèse explicative du comment s'est fait le monde, ou du comment a pu se développer la vie.

Vous militez donc pour une articulation des deux domaines plus que pour leur fusion ou leur séparation...

La question du sens se ventile dès lors dans différentes interprétations du monde et n'est plus de nos jours le seul apanage du christianisme. Il y a une compétition des bonnes nouvelles...

C'est ça: la science est un principe explicatif, la religion un principe interprétatif. La Bible n’a pas pour intention de vouloir expliquer le monde : c'est classique, mais bon à rappeler. Elle touche à la raison d'être de l'humain dans cette vie. A l'inverse, le Big Bang n'est pas la seule réponse à la question « D'où venons-nous ? ». La question du sens se ventile dès lors dans différentes interprétations du monde et n'est plus de nos jours le seul apanage du christianisme. Il y a une compétition des bonnes nouvelles...

Dans ce concert d'interprétations, quelle est la marque de fabrique du christianisme?
A côté d'autres interprétations, qui font parfois de la vie une réalité absurde, sans but, la tradition chrétienne affirme que l'être humain a une raison d'être: participer à l'acte créateur de Dieu. Et là, on quitte le terrain de la science, c'est une posture personnelle. Pour la tradition biblique, fondamentalement, l'être humain n'est pas en déshérence, seul dans l’immensité de l’univers.

Ce qu’il en est de l’humain n’est donc pas réductible au seul fonctionnement neuronal?

Exact, ni à l’homme augmenté (bioman) auquel il suffirait de greffer de l’électronique pour améliorer ses capacités, comme le rêvent certains scientifiques. La foi évite de tomber dans l'obscurantisme scientifique, et réciproquement.

Commet avez-vous choisi les thèmes des quatre conférences et de la journée séminaire du 29 septembre à l'Unil?

Avec le comité scientifique formé pour l'occasion, on s'est demandé dans quels domaines on croise ce genre de questions. Par exemple l'astrophysique, l'évolution, mais aussi les neurosciences, qui constituent aujourd'hui un des lieux du plus grand débat sur ce qu'est l'être humain et son statut. Ces questions recoupent en fait ce que d’aucuns ont appelé les trois grandes blessures narcissiques de l'homme. Nous ne sommes plus le centre de l'univers, nous sommes produits par la nature et nous sommes dépendants de notre cerveau... L'homme est ramené à plus de modestie.

« Sur le base des découvertes scientifiques, comment est-ce que l'on peut dire le message que véhicule le christianisme dans des termes en phase avec la compréhension de l'homme contemporain ? » est une question au centre de votre travail de formateur protestant et du projet des Cèdres. Pourquoi?

Parce qu'il n'y pas de christianisme sans culture, et aujourd'hui, les avancées scientifiques sont déterminantes dans la vision du monde et de l'être humain. Souvent desservi par des positionnements purs et durs, il y a à faire valoir, aujourd’hui, la plausibilité du christianisme, la pertinence de sa vision du monde et du vivant.

Propos recueillis par Laurence Villoz et Samuel Ramuz



Un projet grand public en trois temps


Une ossature en trois temps: sensibilisation, découverte, articulation. C'est ce qu'a échafaudé le comité de pilotage pour souffler les 50 bougies des Cèdres; des festivités tout public qui marquent donc le demi-siècle de ce qui s'est longtemps appelé le Séminaire de culture théologique.
Le budget de l'entier de la manifestation se monte à plus de 200 000 fr., couvert par des sponsors privés et publics et une garantie de déficit assurée par un fonds spécial de l'EERV. Une quarantaine de bénévoles seront actifs durant tout le mois. Créée pour l'occasion, l'association Cèdres Réflexion devrait survivre aux festivités de septembre. Revue du programme (tous les détails pratiques ici).

  • Samedi 1er septembre: sensibilisation en musique
« Quand les cieux rencontrent la Terre »: ce concert inédit (20h15, Saint-François) clôturera la journée de lancement. Des oeuvres peu connues du XVIe, XVIIe et XXe mêleront spiritualité, science et musique « pour nous faire entrer dans la thématique autrement, au moment des grandes découvertes scientifiques de Kepler, Newton ou Copernic », souffle le pasteur Habermacher. L'Ensemble Orlando Fribourg et les Cornets Noirs seront placés sous la direction de Laurent Gendre. Le musicien Jean-Christophe Aubert introduira brièvement le concert.

Plus tôt dans l'après-midi (dès 14h), on l'a dit, vernissage de l'expo « Je crois savoir », à la cathédrale (avec iPads et comme parrain l'homme de radio Daniel Rausis). Elle y restera jusqu'au 27 septembre avant de migrer à l'EPFL. Puis, dès 14h45, des ateliers sur le thème « Science et foi », dans le Gymnase de la Cité pour les adultes, et dans la cathédrale pour les enfants (6-12 ans). « Ils seront animés par des profs de gymnase, pour des gens qui ne sont pas des scientifiques, mais qui ont envie d'apprendre deux ou trois choses par exemple sur le boson de Higgs », illustre M. Habermacher.

Médias-pro (protestants dans les médias) sera également présent avec une démonstration de la 3e mouture de son logiciel GPS, pour déterminer son « sport de lecture » préféré des Evangiles.
Suivra le culte synodal de consécration de l'EERV, à 17h. De fait, le tout constitue sa première « Journée d'Eglise », qui sera reconduite en 2013.

  • Dès le 5 septembre: découverte en quatre volets
La série de quatre conférences démarre la semaine suivante. « Pour découvrir, une sorte d'état des lieux », souffle le pasteur Habermacher. Sur les dizaines d'appels lancés pour dénicher des intervenants, certains ont décliné et plusieurs n'ont pas répondu à notre invitation, regrette-t-il. « C'était difficile d'avoir des femmes, mais on aura tout de même Stephanie Clarke, pointure en neurosciences, avec Peter Clarke. Ce sont de bons exemples de chercheurs moins connus du grand public que nous avons voulu mettre en avant. »

  • Le 29 septembre (9h-18h30): science et spiritualité en dialogue
« Nous avons invité pour le journée finale à l'Université de Lausanne (ndlr: sur inscriptions) des chercheurs comme l'astrophysicien français Jacques Arnould, ou Jean Staune, qui défend un modèle d'intégration entre sciences et spiritualité », explique le président de Cèdres Réflexion. Bruno Guiderdoni, astrophysicien, qui animait jadis l'émission Connaître l'islam sur France 2, amènera son regard de musulman ouvert sur la question. Une table ronde conclura la journée.

Jean-François Habermacher est l'invité de la nouvelle l'émission scientifique de RTS La Première, CQFD, vendredi 31 août dès 10h.En automne sous les Cèdres

Le programme de la rentrée des Cèdres peut être consulté ici. Y figure notamment un séminaire spécialement destiné aux parents, en plus de l'offre de formation de base et continue. S. R.