Journée des réfugiés: «Une décision positive peut changer la vie des gens et de leurs descendants»

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Journée des réfugiés: «Une décision positive peut changer la vie des gens et de leurs descendants»

Joëlle Herren Laufer,
15 juin 2012
En amont de l’obtention du statut de réfugié, 
il y a une longue procédure administrative pour les requérants d’asile. Le Service d’Aide Juridique aux Exilés (SAJE) de l’Entraide protestante (EPER) travaille au quotidien avec ces personnes contraintes de fuir leur pays d’origine. Mathias Deshusses et Philippe Stern, juristes au SAJE, racontent.

agir, le magazine de l'entraide protestante


Quelle est la vocation du SAJE?

Mathias Deshusses (MD): Le SAJE garantit le droit fondamental d’être défendu pour les requérants d’asile résidant dans le canton de Vaud qui n’en ont pas les moyens, soit la majorité d’entre eux. On leur explique le pourquoi des décisions, comment ça fonctionne, on les conseille, on les oriente, et on entreprend des démarches juridiques en leur faveur.

Quelle est l’étendue de vos mandats?

Philippe Stern (PS): Nous faisons des recours et suivons des procédures d’asile complètes. C’est l’aspect fédéral. Mais nous nous occupons également des conditions de vie des requérants d’asile dans le canton de Vaud en soutenant les demandes de logement adéquats, en faisant opposition aux sanctions administratives ou en réagissant aux suppressions de l’aide d’urgence.

Quel est le contexte actuel de l’asile en Suisse?

MD: La tendance est à la restriction des droits, en Suisse comme dans le reste de l’Europe. Les accords de Dublin ont encore diminué les droits des requérants d’asile.

Concrètement, qu’impliquent les accords de Dublin?

MD: Un requérant qui pose une demande d’asile en Suisse après avoir séjourné ou transité par un Etat européen doit être renvoyé dans ce même Etat. Ses empreintes digitales font foi. Il ne bénéficie donc que d’une audition sommaire sur ses données personnelles avant son renvoi dans un pays tiers.

PS: Trop souvent, les requérants d’asile en procédure «Dublin» sont traités comme des criminels puisqu’ils sont soumis à de la détention administrative avant leur renvoi «Dublin». Or, nombre d’entre eux ont vécu dans des conditions extrêmement précaires à leur arrivée en Europe. Il faut savoir qu’en Grèce ou en Hongrie, les requérants sont systématiquement mis en détention et qu’en Italie, ils se retrouvent à la rue et ne bénéficient d’aucune aide sociale.

A quel moment de la procédure les requérants se tournent-ils vers le SAJE?


PS: Le SAJE intervient en dernier recours, quand les requérants reçoivent une réponse négative de l’Office des migrations (ODM) et qu’ils n’ont pas d’argent pour faire recours. On va les recevoir et déterminer si la prise d’un mandat se justifie. Il s’agit de définir si le requérant a une chance, même petite, de voir son recours aboutir positivement.

MD: Même quand on estime qu’un recours n’a aucune chance d’aboutir, nous acceptons parfois d’aider le requérant à faire une lettre en nom propre, pour lui garantir son droit à faire recours et l’aider à formuler ses arguments. C’est fondamental pour lui.

Qu’est-ce qui vous motive?

PS: Malgré la pénibilité du contexte de l’asile, je me bats pour que la «tradition humanitaire» de la Suisse ne soit pas qu’une vaste hypocrisie. Les demandeurs d’asile ne sont pas qu’un numéro N qu’on leur attribue à leur arrivée en Suisse mais bien des personnes humaines qui ont le droit, comme chacun d’entre nous, d’être traitées avec un minimum de respect, de dignité et d’équité.

MD: Mon moteur est d’œuvrer pour l’accès aux droits fondamentaux pour les requérants d’asile.

Etes-vous parfois découragés?

MD: On est régulièrement submergé par la quantité de travail et il est difficile d’encaisser les décisions négatives concernant des cas très difficiles auxquels nous croyons et pour lesquels nous avons dépensé beaucoup d’énergie, en termes de travail mais aussi émotionnellement.
PS: Bien entendu. Mais les quelques décisions positives que l’on reçoit «bouleversent» la destinée de toute une lignée de personnes et ça me donne la force de continuer à me battre.

Peut-on parler de décisions arbitraires?

PS: Dans les cas «Dublin», l’audition sommaire est «expédiée» sans que les requérants d’asile puissent s’exprimer sur les motifs de fuite de leur pays d’origine, leurs conditions de vie dans le premier pays «Dublin» ou encore leurs problèmes de santé. Il y a une réelle «déshumanisation» de la procédure, qui débouche, trop souvent, sur des décisions bâclées car mal instruites.

MD: En revanche, les requérants n’ont aucun droit à l’erreur, lors de leurs auditions notamment. Certains relèvent, par exemple, des problèmes de traduction sans que rien ne puisse être fait par la suite. C’est aussi le cas lors d’auditions très sensibles, telles que celles touchant à des violences sexuelles, où l’encadrement n’est pas adéquat.

Pour les personnes qui demandent l’asile depuis l’étranger, on peut être des mois sans aucune nouvelle de l’ODM, avant de recevoir des questionnaires qui doivent être transmis au requérant dans le pays de transit et auquel il doit répondre dans un très court délai, sous peine de recevoir une décision de non entrée en matière.

Or, ces personnes sont souvent dans un processus de survie et ne sont pas constamment joignables ni à même de communiquer de telles informations. J’ai l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures.

Quel est le taux de réussite du SAJE ?

PS: C’est variable d’année en année. Nous avons une moyenne d’un recours sur quatre qui aboutit. Il s’agit principalement d’admissions provisoires ou d’annulations de décisions, ce qui signifie que le dossier du requérant est renvoyé à l’ODM pour une nouvelle prise de décision. Les recours qui aboutissent sur un statut de réfugié sont extrêmement rares, il n’y en a qu’un ou deux par an!

Comment le SAJE a-t-il vécu son intégration à l’EPER en janvier 2011?


PS: Il est clair que cette «reprise» a été un soulagement car nous avions des problèmes de financement. Outre les meilleures conditions de travail, je me sens plus soutenu dans le travail que je fais tout en gardant une grande indépendance. Enfin, comme nos locaux sont séparés, l’intégration à l’EPER fait son chemin lentement.

Avez-vous l’impression que votre travail est bien compris du grand public?


MD: L’idée que les requérants d’asile sont des profiteurs, ou du moins qu’ils ne font que coûter de l’argent aux contribuables, est très ancrée. Il est dur de sortir de ce cliché. Ce message est aussi véhiculé par les politiciens qui stigmatisent les étrangers en général. PS: Non, la procédure d’asile est très complexe et il est difficile de parler du contenu de notre travail aux «néophytes». Même les politiques expérimentés dans le domaine peinent à sortir d’un discours marqué par les préjugés.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez?

PS: Le canton de Vaud figure en deuxième place du pays par rapport au nombre de requérants d’asile. Pourtant, le SAJE est le seul bureau de défense juridique sur tout le canton. C’est peu comparé à Genève, qui jouit de quatre structures similaires avec un nombre de requérants beaucoup plus bas. Ici, on croule sous les dossiers. Concrètement, nous aurions besoin de deux juristes supplémentaires pour pouvoir faire face à la demande.

MD: Nous ne nous limitons pas à l’écriture de recours, mais répondons aussi aux problématiques de logement et d’aide sociale des requérants. En 2011 plus particulièrement, nous avons pris en charge une vague de demandes d’asile de Somaliens et d’Erythréens ayant fui leur pays et dont un des proches est en Suisse. La quantité de travail est exponentielle au fur et à mesure que les droits des requérants d’asile sont réduits, et ne va pas diminuer avec la guerre en Somalie, la fuite des Erythréens ou l’«exode» des migrants qui travaillaient en Libye.

Nous célébrons le 17 juin la Journée des réfugiés, qu’est-ce que ça vous inspire?


PS: Que la Suisse octroie des statuts de réfugiés! Etant donné que nous nous occupons principalement des personnes qui ont reçu une décision négative, nous avons tendance à oublier que l’article 3 de la Loi sur l’asile existe et qu’il est appliqué. Mais au-delà des aspects juridiques, si l’on part du principe que la Journée des réfugiés fait référence aux personnes ayant dû fuir leur pays, il y a un antagonisme entre le fait que les conflits, la misère et le manque de perspectives dans certains pays soient reconnus et médiatisés et que, malgré cela, les personnes réfugiées soient toujours plus stigmatisées, criminalisées ou bafouées dans leurs droits fondamentaux.