La chasse aux sorcières s’expose

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La chasse aux sorcières s’expose

20 février 2012
Le Pays de Vaud a connu une importante répression de la sorcellerie entre le XVe et le XVIIe siècle. Une exposition temporaire au château de Chillon, à voir jusqu’au 24 juin 2012, 
retrace cet épisode historique tragique qui a fait des milliers de morts.
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Par Sophie Badoux, Uniscope, le magazine du campus de l'Université de Lausanne

Le château de Chillon, situé sur le bailliage du même nom s’étendant de Vevey à Villeneuve, a accueilli nombre de prisonniers accusés de crimes de sorcellerie au Moyen Age. Qui sont ces sorcières volant sur leur balai pour se rendre au sabbat, un culte voué au diable ?

Pour y répondre, Martine Ostorero, professeure associée en histoire médiévale, et Marta dos Santos, directrice adjointe de la Fondation du château de Chillon, ont imaginé une exposition qui met le visiteur face à son propre reflet dans un miroir. « N’importe qui pouvait être touché par des accusations de sorcellerie », explique Martine Ostorero, le système fonctionnant principalement sur la délation.

Le but de l’exposition est de déconstruire les préjugés sur la sorcellerie et de faire comprendre que ces accusations sont invraisemblables. « On a créé du réel à partir de l’imaginaire, ces crimes sont des fantasmes », insiste la médiéviste. La sorcellerie, terreau de l’imagination de nombreux cinéastes, fait d’ailleurs l’objet d’un cycle pendant le mois de février à la Cinémathèque suisse en partenariat avec le château de Chillon.

L’exposition, sous forme de panneaux explicatifs et imagés disséminés dans différentes salles du château, montre que la répression du crime de sorcellerie n’a pas touché que des femmes, contrairement à une idée préconçue largement répandue. Dans les textes historiques, l’argumentation n’est pas construite contre les femmes mais contre des sectes d’hérétiques adorateurs du diable. Cependant dans la réalité, avec la misogynie cléricale ambiante et le confinement des femmes à la sphère domestique – celle de la cuisine, des herbes et des potions – 60 à 70 % des victimes de la répression sont des femmes.

Supplice de l’estrapade

La chasse aux sorcières, qui débute en 1420 environ dans l’arc alpin occidental, où l’Inquisition est déjà en place, a été particulièrement intense en Suisse avec pas moins de 5000 accusations et 3500 exécutions. Rappelons aussi que la torture est fréquemment utilisée lors des procès puisque l’aveu est la seule preuve de condamnation. Le visiteur peut se représenter, grâce à une reconstitution, les souffrances induites par l’estrapade, un supplice qui consistait à hisser l’accusé en haut d’un poteau avec une corde et à le relâcher brutalement.

Les croyances relevant des crimes de sorcellerie se renforcent donc peu à peu alors que le nombre d’aveux augmente. Les documents historiques, composés principalement de procès et de documents de comptabilité, sont bien conservés dans le Pays de Vaud. « Ce qui a été préservé n’est en réalité que la pointe de l’iceberg », précise Martine Ostorero. En lien étroit avec l’exposition, l’Interface sciences-société de l’UNIL a mis sur pied un atelier qui utilise précisément une source du XVe siècle relatant le procès de Pierre Chavaz de Vuiteboeuf. Le public peut s’initier au travail d’historien et découvrir la difficulté à évaluer la véracité d’un texte historique.

« Aujourd’hui, les mécanismes de stigmatisation ne sont pas si éloignés de ceux en place au Moyen Age, affirme Martine Ostorero. La diabolisation d’un groupe social particulier s’est révélée autant applicable aux sorcières des XVe–XVIIe siècles qu’aux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ». Les capacités inédites conférées au diable par le christianisme médiéval sont restées dès lors ancrées dans l’imagination humaine.

*(Légende photo: les héros de la série "Ma sorcière bien-aimée" avec Samantha, Tabatha (la petite fille) et Jean-Pierre)

  • Davantage d'infos sur l'exposition au Château de Chillon et les films proposés à la Cinémathèque en février.