Ne pas cantonner les soins palliatifs à distance de la « médecine qui guérit »
Gian Domenico Borasio entend replacer le processus de mort naturelle au cœur de la vie. Aider à « mourir sa mort ». A l'automne dernier, lors de sa conférence inaugurale, celui qui vient de publier un livre remarqué (1) a relevé que les soins palliatifs ont une visée beaucoup plus large que la douleur et le cancer. Et qu'ils ne concernent pas seulement les 24 dernières heures de vie, mais peut-être les 24 derniers mois.
Le spécialiste, qui arrive de Munich, est venu à la médecine palliative après s’être beaucoup occupé depuis 1990 de patients souffrant de sclérose latérale amyotrophique (atrophie de certains muscles). Sensibilisé au deuil à faire, pour le malade, de son rôle familial, social, professionnel – au risque de perdre le sens de la vie –, le Dr Borasio a ouvert en Allemagne un poste de professeur en assistance spirituelle. Ce qui peut inclure une dimension religieuse mais pas nécessairement (selon la définition de l’OMS, les soins palliatifs incluent un volet spirituel).
On n’arrête jamais les soinsBousculant certaines idées reçues, il a mentionné lors de sa conférence une étude récente de l’Université Harvard, publiée dans le New England Journal of Medicine (2): chez des patients avec un cancer du poumon avancé, ceux qui ont bénéficié de soins palliatifs précoces ont connu une meilleure qualité de vie, étaient moins déprimés et ont en moyenne vécu trois mois de plus que ceux qui n’en avaient pas bénéficié.
Il est évident que les soins palliatifs, dit-il, relèvent de la responsabilité de tous les professionnels de la santé et pour cela doivent obligatoirement trouver place dans les cursus d’enseignement. Il faut aussi changer notre façon de parler de la fin de vie. Et donc ces termes comme « retrait de soins » ou « acharnement thérapeutique ». En réalité, on n’arrête jamais les soins ; ce qu’on doit/devrait faire à un moment donné pour chaque patient, c’est de changer l’objectif, de la guérison vers la qualité de vie.
Le fait est que, en Suisse comme ailleurs, il reste souvent cette idée que la palliation signe la défaite de la médecine et des médecins, ce qui pousse à la cantonner dans un coin à elle, éloigné de la « médecine qui guérit ».Le fait est que, en Suisse comme ailleurs, il reste souvent cette idée que la palliation signe la défaite de la médecine et des médecins, ce qui pousse à la cantonner dans un coin à elle, éloigné de la « médecine qui guérit ». Notamment, il s’est avéré difficile au cours des vingt dernières années de convaincre les autres disciplines que la médecine palliative avaient une vraie dimension académique. C’est sans doute lié à cette fausse image d’échec, qu’il faut voir plutôt comme la sagesse éthique des Anciens, comme le fait de « savoir se retirer et renoncer à faire des choses », selon le Dr Borasio.
Voir que le but n’est plus de sauver au sens usuel du terme, mais qu’on s’attache à maximiser le mieux-être, et la relation entre le malade et ses proches et avec son existence. On a trop jugé que cela était du registre du « tender loving care » et que cette médecine ne se prêtait guère aux études de « hard science » qui permettent d’étoffer un dossier académique. En fait, un simple clic sur « Palliative care - NEJM » (3) illustre comment aujourd’hui le domaine donne lieu à des travaux de haut niveau.
« Rien de plus individuel que la qualité de vie »Il vaut la peine de citer la remarque du Dr Borasio en rapport avec l’autonomie et la libre détermination du patient : « Rien de plus individuel que la qualité de vie ; il n’y a qu’une définition possible : la qualité de vie est ce qu’en dit le patient. » Cela peut valoir de la même manière pour la notion de dignité – de sa vie et de son état de santé, respectivement de sa dépendance –, y compris dans la dernière phase : c’est le malade qui peut et doit en juger, pas d’autres, aussi bien intentionnés soient-ils.
Dans un éditorial, la journaliste Francine Brunschwig (4) parle d'« une voix bienvenue dans un paysage dominé par les promoteurs de l’aide au suicide comme seule réponse au désir de mourir dignement ». A vrai dire, je ne pense pas que les responsables d’Exit prétendent à un tel monopole. Mais ce qui est plus nouveau et encourageant, c’est que, sans en aucune manière se dire favorable à l’assistance au suicide, Borasio évite de se montrer agressif à son endroit.
Alors que, et je relève que je ne suis pas membre d’Exit, j’ai parfois été gêné et même choqué par des propos insultants et définitifs de tel confrère palliatologue vis-à-vis des médecins qui donnent la main à l’aide au suicide. A la journaliste qui demande si certains patients demandent à mourir, il répond oui. « Les soins palliatifs réduisent ces demandes mais pas complètement. Je respecte ce choix. »
Terminons sur un mode plus philosophique : « Pour la majorité des patients palliatifs, les valeurs altruistes surpassent les valeurs égoïstes : on pourrait se poser la question de savoir s’il faut vraiment attendre d’être proche de la mort pour découvrir que l'altruisme augmente notre qualité de vie. » Superbe sujet dont il faut débattre, y compris dans les programmes de formation de multiples professions et domaines.
1. Borasio G. D. Über das Sterben – Was wir wissen, was wir tun können, wie wir uns darauf einstellen. München: Verlag C.H. Beck, 2011.
2. Temel J.S. et al. Early Palliative Care for Patients with Metastatic Non–Small-Cell Lung Cancer. N Engl J Med 2010, 363 : 733-742.
3. Voir le site (en anglais)
4. Brunschwig F. Une voix forte pour parler de la mort. 24 Heures (Lausanne), 10 octobre 2011, p. 2.
*Jean Martin est, entre autres, l'ancien médecin cantonal vaudois. L'an dernier, il a notamment publié, pour Protestinfo, une chronique sur l'interruption volontaire de grossesse.