Le Canadien de Montréal : entre la foi et l’idolâtrie
23 février 2011
Sport et religion ne peuvent pas vivre pas l’un sans l’autre. Des jeux de l’Olympe aux Dieux du stade, en passant par les métaphores pauliniennes, ils se détestent ou ils se rejoignent, ils se servent l’un de l’autre ou ils se confondent.
*
Et le sport devient parfois lui-même une religion : la religion du football à Liverpool ou à Sao-Paulo, celle du cricket en Inde, celle du sumo au Japon ou celle du base-ball aux Etats-Unis. À Montréal, c’est le Canadien, le club de hockey fondé en 1909 qui prend des allures de religion. Cela vaut au sens figuré bien sûr – ainsi les joueurs du Canadien ne sont pas des joueurs mais « Les Glorieux », le maillot du Canadien n’est pas un maillot mais « La Sainte-Flanelle » –, au sens propre aussi.
Il arrive que certaines victoires du Canadien – comme certaines de ses défaites d’ailleurs – semblent ne pas découler des qualités des joueurs, ni du flair de l’entraîneur, ni des encouragements des partisans. Il arrive que le gardien fasse des arrêts miraculeux, qu’un attaquant marque un but incroyable, qu’un joueur réussisse un geste qu’aucun être humain ne pourrait réussir.
Alors, « on » – les entraîneurs, les joueurs, les partisans, les journalistes – a tendance à attribuer le succès ou l’insuccès du Canadien à une puissance supérieure, à Dieu ou aux Dieux du hockey qui ferai(en)t rouler la rondelle du bon côté, celui du Canadien s’entend. Et pour que ce Dieu/ces Dieux joue(nt) avec le Canadien, « on » tente de le/les séduire et de le/les infléchir. Il y a donc relation avec un ou des Dieu(x) et quand il y a relation avec un ou des Dieu(x), il y a religion.
À Montréal, cette religion du Canadien prend des formes très catholiques. Avant une rencontre importante, Delphine monte sur ses genoux – et la Sainte-Flanelle sur le dos – les 99 marches de l’Oratoire Saint-Joseph pour y allumer un cierge. Quand une partie semble définitivement perdue, Victoria demande à Saint-Frère-André – le fondateur de ce même Oratoire – d’aider le Canadien à remporter la rencontre. Et ça marche ! Pleine de fierté, la maman de Victoria m’a raconté l’événement : « à chaque prière, paf… c’était but pour les Canadiens ».
Mais la religion du Canadien s’autonomise parfois. Jonathan, doctorant en urbanisme, a fait du Canadien sa religion. Il a dédié une pièce de son appartement à un « Temple du Canadien » qu’il a rempli d’objets à la gloire de son équipe : des chandails du Canadien, des drapeaux du Canadien, des bâtons du Canadien, des rondelles du Canadien, des figurines du Canadien. Et sur sa page Facebook, il en affiche fièrement 27 photographies.
Entre l’idolâtrie et la foi Les deux formes de « religion du Canadien » sont presque opposées. Delphine et Victoria mettent leur catholicisme au service du Canadien. C’est auprès de Dieu – plutôt auprès de Saint-Joseph ou de Saint-Frère André – qu’elles cherchent de l’aide. Jonathan quant à lui met sa confiance directement dans le Canadien.
Pour être radicalement différentes, les deux attitudes n’en sont pas moins toutes deux idolâtres. Car, comme avait coutume de le dire Daniel Lys – mon professeur d’Ancien Testament à l’Institut Protestant de Théologie à Montpellier –, l’idolâtrie peut prendre deux formes : il est idolâtre de rendre un culte à un faux Dieu, mais il est aussi être idolâtre de rendre un faux culte au vrai Dieu.
Jonathan est un idolâtre du premier type. Parce qu’il fait du Canadien l’objet de sa religion, Jonathan adore un faux Dieu, un Dieu du hockey professionnel qui légitime la violence, le tribalisme et l’ultra-sélection. Delphine et Victoria sont des idolâtres du second type. Elle ne vénère pas le Canadien, mais adore Dieu, au travers de Saint-Joseph et de Saint-Frère-André.
Pourtant, Delphine et Victoria célèbrent un faux culte, car elles croient qu’il suffit de faire les bons gestes ou de dire les bonnes prières pour que Dieu aide automatiquement le Canadien.
Mais l’idolâtrie n’est pas une fatalité. Le Canadien peut être une occasion de rencontrer Dieu. La passion pour le Canadien qui anime Delphine, Victoria et Jonathan pourrait, devrait nourrir leur foi, pour peu qu’ils renoncent à faire du Canadien leur religion.
Grâce au Canadien, Delphine et Victoria pourraient découvrir que Dieu reste toujours libre d’intervenir sur la glace comme dans le monde, que Dieu agit toujours de manière indirecte, en inspirant celles et ceux qui lui font confiance, joueurs du Canadien compris.
Et Jonathan pourrait percevoir dans un beau but de Mike Cammalleri, un bel arrêt de Carey Price ou une belle mise en échec de P.K. Subban, un avant-goût du moment où Dieu lui permettra, à lui comme à tous, de jouer, non pas comme des Dieux, mais comme les meilleurs hockeyeurs, peu importe qu’ils jouent à Montréal ou ailleurs.
REPERES
Olivier Bauer est né à Neuchâtel en 1964. Il est marié et père de trois enfants. Il a passé sa vie professionnelle sur trois continents – en France, en Suisse, à Tahiti, à Washington, DC – comme pasteur de diverses Églises protestantes et comme assistant et chargé de cours aux Universités de Lausanne et de Neuchâtel.
En 2000, il obtient un doctorat en théologie de l'Université de Lausanne. Depuis 2005, il est professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal.
Ses recherches portent sur la transmission du christianisme et sur les relations entre la culture et la religion, notamment sur la valeur spirituelle de la nourriture et sur la dimension religieuse du Canadien de Montréal.
Publications:
Il a codirigé trois ouvrages : avec Jean-Marc Barreau, La religion du Canadien de Montréal (Fides, 2009); avec Félix Moser, Les Églises au risque de la visibilité (IRP, 2002); et avec Henry Mottu, Le culte protestant (IRP, 2001).
Citations :
"La vie est un métier qu'on apprend toute sa vie. Et quand on est formé, on vous licencie." Jean-Pierre Bérubé, chanteur québécois
"Soyez rusés comme les serpents et doux comme les colombes." Évangile attribué à Matthieu 10, 16
Et le sport devient parfois lui-même une religion : la religion du football à Liverpool ou à Sao-Paulo, celle du cricket en Inde, celle du sumo au Japon ou celle du base-ball aux Etats-Unis. À Montréal, c’est le Canadien, le club de hockey fondé en 1909 qui prend des allures de religion. Cela vaut au sens figuré bien sûr – ainsi les joueurs du Canadien ne sont pas des joueurs mais « Les Glorieux », le maillot du Canadien n’est pas un maillot mais « La Sainte-Flanelle » –, au sens propre aussi.
Il arrive que certaines victoires du Canadien – comme certaines de ses défaites d’ailleurs – semblent ne pas découler des qualités des joueurs, ni du flair de l’entraîneur, ni des encouragements des partisans. Il arrive que le gardien fasse des arrêts miraculeux, qu’un attaquant marque un but incroyable, qu’un joueur réussisse un geste qu’aucun être humain ne pourrait réussir.
Alors, « on » – les entraîneurs, les joueurs, les partisans, les journalistes – a tendance à attribuer le succès ou l’insuccès du Canadien à une puissance supérieure, à Dieu ou aux Dieux du hockey qui ferai(en)t rouler la rondelle du bon côté, celui du Canadien s’entend. Et pour que ce Dieu/ces Dieux joue(nt) avec le Canadien, « on » tente de le/les séduire et de le/les infléchir. Il y a donc relation avec un ou des Dieu(x) et quand il y a relation avec un ou des Dieu(x), il y a religion.
À Montréal, cette religion du Canadien prend des formes très catholiques. Avant une rencontre importante, Delphine monte sur ses genoux – et la Sainte-Flanelle sur le dos – les 99 marches de l’Oratoire Saint-Joseph pour y allumer un cierge. Quand une partie semble définitivement perdue, Victoria demande à Saint-Frère-André – le fondateur de ce même Oratoire – d’aider le Canadien à remporter la rencontre. Et ça marche ! Pleine de fierté, la maman de Victoria m’a raconté l’événement : « à chaque prière, paf… c’était but pour les Canadiens ».
Mais la religion du Canadien s’autonomise parfois. Jonathan, doctorant en urbanisme, a fait du Canadien sa religion. Il a dédié une pièce de son appartement à un « Temple du Canadien » qu’il a rempli d’objets à la gloire de son équipe : des chandails du Canadien, des drapeaux du Canadien, des bâtons du Canadien, des rondelles du Canadien, des figurines du Canadien. Et sur sa page Facebook, il en affiche fièrement 27 photographies.
Entre l’idolâtrie et la foi Les deux formes de « religion du Canadien » sont presque opposées. Delphine et Victoria mettent leur catholicisme au service du Canadien. C’est auprès de Dieu – plutôt auprès de Saint-Joseph ou de Saint-Frère André – qu’elles cherchent de l’aide. Jonathan quant à lui met sa confiance directement dans le Canadien.
Pour être radicalement différentes, les deux attitudes n’en sont pas moins toutes deux idolâtres. Car, comme avait coutume de le dire Daniel Lys – mon professeur d’Ancien Testament à l’Institut Protestant de Théologie à Montpellier –, l’idolâtrie peut prendre deux formes : il est idolâtre de rendre un culte à un faux Dieu, mais il est aussi être idolâtre de rendre un faux culte au vrai Dieu.
Jonathan est un idolâtre du premier type. Parce qu’il fait du Canadien l’objet de sa religion, Jonathan adore un faux Dieu, un Dieu du hockey professionnel qui légitime la violence, le tribalisme et l’ultra-sélection. Delphine et Victoria sont des idolâtres du second type. Elle ne vénère pas le Canadien, mais adore Dieu, au travers de Saint-Joseph et de Saint-Frère-André.
Pourtant, Delphine et Victoria célèbrent un faux culte, car elles croient qu’il suffit de faire les bons gestes ou de dire les bonnes prières pour que Dieu aide automatiquement le Canadien.
Mais l’idolâtrie n’est pas une fatalité. Le Canadien peut être une occasion de rencontrer Dieu. La passion pour le Canadien qui anime Delphine, Victoria et Jonathan pourrait, devrait nourrir leur foi, pour peu qu’ils renoncent à faire du Canadien leur religion.
Grâce au Canadien, Delphine et Victoria pourraient découvrir que Dieu reste toujours libre d’intervenir sur la glace comme dans le monde, que Dieu agit toujours de manière indirecte, en inspirant celles et ceux qui lui font confiance, joueurs du Canadien compris.
Et Jonathan pourrait percevoir dans un beau but de Mike Cammalleri, un bel arrêt de Carey Price ou une belle mise en échec de P.K. Subban, un avant-goût du moment où Dieu lui permettra, à lui comme à tous, de jouer, non pas comme des Dieux, mais comme les meilleurs hockeyeurs, peu importe qu’ils jouent à Montréal ou ailleurs.
REPERES
Olivier Bauer est né à Neuchâtel en 1964. Il est marié et père de trois enfants. Il a passé sa vie professionnelle sur trois continents – en France, en Suisse, à Tahiti, à Washington, DC – comme pasteur de diverses Églises protestantes et comme assistant et chargé de cours aux Universités de Lausanne et de Neuchâtel.
En 2000, il obtient un doctorat en théologie de l'Université de Lausanne. Depuis 2005, il est professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal.
Ses recherches portent sur la transmission du christianisme et sur les relations entre la culture et la religion, notamment sur la valeur spirituelle de la nourriture et sur la dimension religieuse du Canadien de Montréal.
Publications:
- Une théologie du Canadien de Montréal (Bayard Canada, 2011)
- Le protestantisme et ses cultes désertés (Labor et Fides, 2008);
- Les rites protestants en Polynésie française (L’Harmattan, 2003);
- Le protestantisme à table (Labor et Fides, 2000);
- Petit lexique du parler local (Aux vents des îles, 1999) et Le jeu de Dieu et de Jonas (Éditions du Moulin, 1996).
Il a codirigé trois ouvrages : avec Jean-Marc Barreau, La religion du Canadien de Montréal (Fides, 2009); avec Félix Moser, Les Églises au risque de la visibilité (IRP, 2002); et avec Henry Mottu, Le culte protestant (IRP, 2001).
Citations :
"La vie est un métier qu'on apprend toute sa vie. Et quand on est formé, on vous licencie." Jean-Pierre Bérubé, chanteur québécois
"Soyez rusés comme les serpents et doux comme les colombes." Évangile attribué à Matthieu 10, 16