Petit traité d’alchimie «évangélique»

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Petit traité d’alchimie «évangélique»

Michel Kocher
26 janvier 2011
Question posée par une consoeur: qui sont ces évangéliques dont il est question ici et là ? Les « evangelical» vous voulez dire ? C’est une nébuleuses protestante, présente aussi bien dans les Églises historiques qu’en rupture avec elles, relevant du fondamentalisme chrétien aussi bien que du pentecôtisme. Comme souvent, ils ne recherchent pas la reconnaissance de l’État, pas plus qu’ils ne sont présents dans les universités laïques ou ne sont intéressés par l’œcuménisme institutionnel, leur présentation est difficile. Je tente une réponse.

Depuis Empédocle, pour expliquer la complexité de la matière, les anciens avaient développé la théorie des quatre éléments constituant le monde: l’eau, la terre, le feu et l’air. Chaque substance présente dans l’univers contenait ces éléments, dans des quantités variables. La nébuleuse évangélique a aussi ses quatre éléments.

Aucun n’est étranger à la tradition chrétienne, dans sa déclinaison réformée en particulier, mais leur mélange et leur degré de « pureté » font la différence. C’est une alchimie. Et comme toute alchimie, son horizon est métaphysique: ce n’est rien moins que la transmutation (conversion) de tous les hommes.

 

L’air d’abord. Chez les évangéliques, ce qui compte dans l’air qu'ils respirent pour nourrir et exprimer leur foi, c’est la Bible. C’est l’oxygène; le gaz sans lequel il n'y a pas de vie chrétienne. La citation biblique est une deuxième nature, la référence au texte sacré, un geste vital. Ils reconnaissent difficilement le fait que la Bible est un mélange de paroles divines et humaines.

Il y a une tendance à penser que la consommation d'oxygène pur est un objectif souhaitable... et atteignable, alors même que l'air respiré par les humains est toujours mélangé avec d'autres gaz. Ils peinent à souscrire à la fameuse affirmation de Karl Barth, la Bible contient la « Parole de Dieu ».

« Nous sommes dans le monde, mais pas du monde » aiment à dire les évangéliques, se réclamant ainsi de St Paul.

À l’opposé, la terre. C’est le rapport à la culture, à la société, au politique, au « monde ». « Nous sommes dans le monde, mais pas du monde » aiment à dire les évangéliques, se réclamant ainsi de St Paul. Le fait est que leur engagement est réel, mais appuyé sur une dialectique subtile.

Plus il est intense, dans les domaines sociaux par exemple – que l’on pense aux salutistes –, plus il doit être contrebalancé par une claire signalisation de sa finalité hors monde. Soupe, savon... salut. Autrement dit, plus l'on s'engage dans le « monde », plus il faut rappeler que le sens de cet engagement n'est pas mondain (révolutionnaire).

Dans le registre politique, cette dialectique côtoie la contradiction: plus l’engagement est visible, intense, plus il tend à prendre une identité clairement chrétienne, que ce soit un parti, une politique, ou un Etat… chrétien. Ce faisant, il s'expose à renier sa finalité « hors monde ».

Restent l’eau et le feu. Les composants les plus modernes de l’alchimie, dont le mélange contribue certainement à leur dynamisme, mais aussi à une certaine volatilité. Le feu, c’est la spiritualité qui traverse ces églises. La température va de la chaude convivialité du culte à la brûlante excitation de ses tendances charismatiques.

Le moteur profond de cette production de chaleur est la tendance à construire une spiritualité qui valorise l’immédiateté du rapport à Dieu. Les médiations de tous ordres, psychologiques, historiques, institutionnelles sont largement passées au second plan.

Et l’eau. Chez les anciens, l’eau est le symbole de ce qui fait lien et de ce qui est capable de résistance à l’usure du temps. Dans notre cas il faut traduire « église ». Pas d’organisation à grande échelle, de solides barrages et d’antiques aqueducs. Pas d’interconnexion formelle avec d’autres grands distributeurs.

L’eau circule ici en petites quantités, dans des réseaux aussi nombreux qu'informels. Si une conduite s’obstrue ou se casse, il reste d’autres canaux par lesquels fonctionner. La plasticité de ce fonctionnement est très adaptée à l’âge du web dans lequel nous sommes.

Voilà, chère consoeur. Comme vous le savez, depuis le 17e siècle, la théorie des quatre éléments n’est plus l’explication retenue. Il y a infiniment plus d’éléments en jeu. Mais les rêves que la théorie d’Empédocle servait… n’ont, eux, pas disparu.
 

LIRE

- La chronique de Bernard Reymond sur la théologie libérale :
La théologie libérale et ses enjeux.

- La dernière chroniques de Michel Kocher : Trois évêques au lieu d'un seul.