L'évangélisation, ce terrain miné que les réformés (ré-)investissent sur la pointe des pieds

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L'évangélisation, ce terrain miné que les réformés (ré-)investissent sur la pointe des pieds

Samuel Ramuz
9 décembre 2010
Lourdement chargée, la thématique a mobilisé quatre intellectuels et praticiens protestants romands, mardi soir dans la banlieue lausannoise. Ils répondaient à une invitation de Catalyse, un groupe de théologiens et de laïcs vaudois soucieux de prendre à bras-le-corps une poignée de thèmes en marge des débats synodaux de l'EERV. Des pistes ont été tracées mais, en la matière, tout ou presque reste à ré-inventer.

« Si tout le monde était chrétien, ce serait diabolique. » Une pointe d'ironie au coin de l'oeil, Pierre Gisel donne le ton. Pour le doyen de la Faculté lausannoise de théologie et de sciences des religions, « l'évangélisation ne saurait viser sans grave perversion une chrétienté (ndlr: à rebâtir), même idéale ». Mais, précise-t-il, « le christianisme ne serait plus lui-même s'il se faisait repli sur soi, protégé des maux qui affectent l'humain et la société ». Tout est dit, ou presque: reste à s'entendre sur les termes.

Avant la soirée de mardi à Bussigny, qui a drainé une quarantaine de curieux, le thème de l'évangélisation avait soufflé aux têtes pensantes de Catalyse une première soirée, début octobre. Histoire de défricher le terrain d'un terme lourdement chargé par l'histoire. « La voie est étroite entre un prosélytisme à tous crins et ce que certains théologiens appellent l'enfouissement. Mais elle existe », note Jean-François Habermacher, formateur d'adultes et modérateur des soirées.

Comme un écho au théologien français Wilfred Monod, pour qui l'évangélisation était « un vilain mot pour une bien belle chose ».

« Joli récit totalitaire »

Mais si l'exhortation de l'évangéliste Matthieu à faire de toutes les nations des disciples de Jésus (Mat. 28.19) constitue pour Vincent Schmid « un joli récit totalitaire », il faut aujourd'hui voir l'Eglise comme une source, selon le pasteur genevois. C'est-à-dire comme « le témoin d'une Parole éclairante, fécondatrice de sa tradition, qui s'adresse à tous sans discrimination; mais vue comme une contribution à l'Universel, et non comme l'Universel lui-même ».

Dans cette veine, le théologien Jacques Matthey, frais retraité du Conseil oecuménique des Eglises, a listé plusieurs projets concrétisés dans le Nord de l'Europe. « A Copenhague, certaines Eglises ouvrent tous les soirs (ndlr: night churches): untel entamera une méditation, un autre participera à un bout d'office, etc. » Selon l'ancien secrétaire général du Département missionnaire, le nombre de visiteurs y a atteint 40 000 l'an dernier.

Pour lui, la distribution de tracts dans la rue, les télévangélistes à l'américaine, bref « l'estrade » - le terme est du pasteur français Laurent Schlumberger -, c'est terminé.

« Reprendre le produit »

Frédéric Siegenthaler, pasteur dans la Broye fribourgeoise, a pour sa part tiré un parallèle entre l'évangélisation et les thèses du psychologue américain Carl Rogers, lui-même fils de pasteur, pour qui l'humain doit d'abord identifier les arbres et les gravats qui encombrent son chemin avant de trouver la « force d'actualisation » qui le mène vers le bonheur.

« Du coup, accepter la perte de maîtrise, donner aux autres de nous voir progresser, bref tenter un essai de congruence entre foi et actes sont des pistes », a noté celui qui préside aussi le conseil de l'Office protestant de formation. Les cours Alpha, qu'il a mis sur pied avec d'autres dans sa région et qui reprennent les bases de la foi en petits groupes de discussion, constituent pour lui un exemple pertinent d'évangélisation.

« Mais tout cela n'a-t-il pas déjà été fait? » a lancé Jean-François Habermacher aux quatre intervenants. « Il y a en effet urgence à rependre le produit à nouveaux frais plutôt que de réinventer la roue en matière de packaging », a soutenu Pierre Gisel. « Comme réformés, nous sommes les spécialistes de la transmission, donc de la répétition », a avancé Vincent Schmid. Et ce dernier de citer le publicitaire français Jacques Séguéla pour qui les protestants « doivent faire ce qu'ils savent faire, le faire bien et le faire savoir ».

C'est-à-dire, par exemple, jouer plus finement sur la dialectique entre intellectuel et émotionnel dans la transmission d'un message évangélique libérateur, à l'image de l'apôtre Paul, a soutenu Jacques Matthey.

A SUIVRE
La prochaine soirée Catalyse, normalement sur le même thème, se tiendra le 22 mars 2011 à 19h30 à la Maison de paroisse de Bussigny. Plus d'informations et accès aux archives ici.