Stained-glass ceiling ou le plafond de vitrail

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Stained-glass ceiling ou le plafond de vitrail

Muriel Schmid
8 décembre 2010
A la fin du mois d’octobre, l’Académie Américaine de Religion (AAR) tenait son congrès annuel à Atlanta. Plus de 4500 participants s’y sont rendus, représentant un large éventail de nationalités, cultures et traditions religieuses. En feuilletant le programme du congrès, je relève quelques titres intrigants: « féminisme critique et décolonisation de Marie », «théologie politique féministe et womaniste », « réflexions théologico-féministes sur les femmes, le monde animal et la corporalité » ou encore « dialogue interreligieux écoféministe ».

Je n’ai malheureusement pas pu me rendre au congrès cette année, mais je lis toujours avec intérêt la liste des thèmes abordés au cours des différentes sessions ; cela donne une idée des courants actuels de la théologie et des sciences des religions. En rassemblant ces quelques titres, je réalise à quel point le discours féministe a trouvé aujourd’hui sa voix propre.

Modèle théorique en soi

Il n’est aujourd'hui plus vraiment question de justifier ou d’expliquer la contribution particulière d’une approche féministe. Le féminisme est devenu une modèle théorique en soi, qui n’est plus forcément lié à des revendications sociales ni surtout au sexe de la personne qui en parle! Aujourd’hui, la catégorie du « genre » capture les enjeux sociaux: la construction de l’identité-genre et des rôles qui s’y attachent, la multiplicité des genres, l’effet-genre sur les institutions sociales, le genre et le problème de la violence, ou encore les questions liées à l’inégalité entre genres.


La théologie francophone européenne, protestante ou catholique, semble bien loin de cette conversation et je me demande pourquoi.

La théologie francophone européenne, protestante ou catholique, semble bien loin de cette conversation et je me demande pourquoi. En règle générale, le discours dominant de cette théologie francophone ne rejoint en rien la théologie des milieux fondamentalistes qui n’accorde aucune place à la femme. Pourquoi donc la théologie francophone n’a-t-elle pas encore incorporé ce changement de paradgime ? Pourquoi faut-il encore si souvent s’excuser ou s’expliquer lorsque l’on parle d’une perspective féministe ?

Dans le contexte limité de la théologie protestante francophone en Suisse, je me risque à deux éléments de réponse. Premièrement, les soucis de dialogue interconfessionnel et de cohabitation ont peut-être eu raison, dans une certaine mesure, d’une théologie qui eût mis en évidence les divisions plutôt que les rapprochements. Si l’on pense à la publication du fameux document de Lima, le BEM (ou Baptême, Eucharistie, Ministère), en 1982, et l’effet mobilisateur qu’il a eu à cette époque sur les Eglises suisses, il n’est pas étonnant que la question d’une théologie féministe ait été reléguée à l’arrière-plan.

Cryptocatholicisme romand

Alors que dans de nombreux pays occidentaux le début des années 80 voyait le développement d’un discours théologique féministe, les communautés ecclésiales de Suisse romande subissaient les effets d’un cryptocatholicisme qui, au nom d’un rapprochement avec les « frères » catholiques, allait jusqu’à remettre en cause la consécration des femmes.

Le deuxième élément de réponse que je souhaite offrir relève des effets pervers du discours égalitaire attribué au mouvement de la Réformation. Du côté catholique, l’inégalité des genres est théologique ; cela a le mérite d’être clair comme nous l’ont récemment rappelé les cinq évêques anglicans qui ont demandé à être admis dans l’Église catholique suite à la décision de l’Église anglicane de consacrer des femmes.

La théologie, quant à elle, est rarement prophétique ; dans ce domaine aussi, elle attend que le monde bouge autour d’elle.

Du côté protestant par contre, on évoque volontiers les positions égalitaires des réformateurs qui ont osé affirmer à leur époque que les femmes étaient, elles aussi, sauvées ! Avec un tel point de départ, il devient difficile ensuite de discuter des problèmes de fond ; on se retranche derrière des faits acquis comme la preuve d’une bataille gagnée - politique de salaire égal, accès des femmes aux mêmes postes, droits égaux - et on évite finalement les questions plus délicates.

Le changement de paradigme qu’ont représenté le féminisme et les études genre dans les milieux académiques anglo-saxons et autres ne s’est pas encore pleinement effectué dans les milieux francophones, plus particulièrement en Suisse romande. La théologie, quant à elle, est rarement prophétique ; dans ce domaine aussi, elle attend que le monde bouge autour d’elle. Pour faire avancer les choses, il faudrait sans doute en premier lieu changer le paradigme qui exprime les limites imposées aux femmes ; il n’y a jamais de révolution sociale sans un état des lieux précis et honnête. Mon titre, Stained glass ceiling, se veut une invitation à un tel changement de regard sur ces limites au sein de la réflexion théologique.

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