Fribourg : Célébrer ensemble, sans parler la même langue

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Fribourg : Célébrer ensemble, sans parler la même langue

Anne-Sylvie Mariéthoz
2 décembre 2010
Les paroisses réformées, qui réunissent des communautés linguistiques différentes, choisissent souvent de cohabiter, sans plus. Fribourg prend le risque de jouer la carte du bilinguisme. Au printemps dernier, une première volée de catéchumènes romands et alémaniques confirmaient ensemble: une première en Suisse.


Un samedi de novembre. Près d'une cinquantaine de jeunes Romands et Alémaniques sont réunis dans les locaux de la paroisse de Fribourg. Le thème de la journée? Les textes bibliques sous toutes leurs coutures. Les catéchumènes découvrent une bible en braille ou en bande dessinée, et différentes traductions, en arabe, en grec ou en anglais

Le français l'emporte ce jour-là. Si un Alémanique ne comprend pas un mot, un traducteur improvise. Les compétences ne manquent pas.

Population en pleine croissance

Cette scène révèle l'identité bilingue de l'Eglise réformée fribourgeoise. Alémanique à l'origine, elle accueille de plus en plus de francophones. Ils représentent environ un tiers des réformés, dont la barre des 40'000 (14,5% en 2009) a été franchie cette année, comme vient de le publier "La Liberté". En dix ans, l'EREF a construit trois nouveaux temples, à Bösingen, Châtel-Saint-Denis et Guin - et rénové plusieurs autres.

Dans ce bastion catholique (66,6% en 2008), la population protestante est en pleine croissance grâce aux nouveaux habitants venus du canton de Vaud, souvent attirés par des emplois à Berne. Et l'EREF pense à déplacer son siège central de Morat à Fribourg.

Parmi les trois paroisses réformées officiellement bilingues sur 16 au total, celle du district de la Sarine, qui comprend Fribourg-Ville, est la plus entreprenante sur le terrain du bilinguisme. Dans la ville de Fribourg, la proportion est passée à 60% de Romands et 40% d'Alémaniques. Cette paroisse ne se contente pas d'assurer une administration et des cultes dans les deux langues, mais elle mélange aussi les communautés linguistiques, en particulier lors des activités destinées aux enfants et aux adolescents.

Retour aux catéchumènes Retour auprès des catéchumènes. "Les jeunes sont contents d'agrandir leur réseau et d'améliorer leurs capacités linguistiques, car ils le voient plutôt comme un avantage", observe le pasteur Urs Schmidli, qui supervise la journée. Il n'est toutefois pas toujours facile de maintenir un équilibre. On compte moins d'une dizaine de baptêmes par année dans les familles alémaniques pour une bonne trentaine chez les francophones.

Les jeunes ont tendance à adopter la langue majoritaire, d'autant plus facilement qu'ils y baignent constamment. "Dans ces conditions, on a tendance à se demander s'il faut vraiment tout traduire. Mais si on veut que le bilinguisme fonctionne, on est obligé de s'en tenir à la règle de la parité, car c'est la seule façon de garantir le respect de chacun", insiste le président de la paroisse, Paul-Albert Nobs.
Deux langues, deux cultures? L'application de ce principe ne s'est pas toujours faite sans heurts. Le problème se pose notamment lors de la célébration ou de la prière, quand les mots n'ont pas tout à fait le même sens et quand les rituels ont été façonnés par des traditions différentes.

La pasteure Martine Lavanchy raconte qu'elle a suscité des réactions dès son arrivée, par sa façon de rompre le pain lors du culte. Mais elle précise aussitôt que la sensibilité à ce type de questions s'estompe à mesure que l'on descend dans les générations.

En 2010, les deux communautés ont pour la première fois préparé la confirmation en commun, ce qui a donné lieu à d'intenses discussions, pour parvenir à une formule à la fois originale et satisfaisante pour les deux groupes linguistiques. Mais personne n'osait l'imaginer au départ, tant les approches semblaient opposées.
La tradition n'existe pas encore "Les francophones ont une façon différente de manifester leur foi", relève la conseillère de paroisse Anne Burger. "Ils recourent notamment à une gestuelle souvent étrangère aux habitudes alémaniques". Et pourtant le chemin s'est fait et, de l'avis de tous, la célébration a gagné en profondeur. Ce qui aurait semblé impensable il y a encore peu de temps. "A noter toutefois que la tradition n'existe pas encore et qu'il faudra remettre l'ouvrage sur le métier l'an prochain!", rappelle la pasteure Débora Kapp.

L'expérience du bilinguisme ressemble en effet à une négociation perpétuelle, avec ses mouvements d'aller et retour. La paroisse a par exemple renoncé à mélanger les communautés en permanence: les cultes bilingues, difficiles à suivre pour les uns ou ennuyeux pour les autres, sont désormais réservés à certains moments de l'année. "Il faut que tout le monde se sente à l'aise, commente Anne Burger, car l'égalité des langues consiste aussi à donner à chaque personne la possibilité de vivre normalement sa propre langue".
"C'est un autre métier" Reste que les pasteurs ont le sentiment de passer beaucoup de temps à traduire, à préciser les notions et à s'assurer qu'elles soient comprises. "Depuis que nous avons choisi de vivre notre Eglise comme une seule entité, c'est un autre métier dans la même paroisse", témoigne Débora Kapp, officiant à Fribourg depuis une quinzaine d'années.


Paroisses bilingues: une réalité multiforme

Plusieurs paroisses réformées des cantons de Fribourg et du Valais se présentent comme des paroisses bilingues, c'est notamment le cas des paroisses fribourgeois de la Sarine, de Cordast et de Meyriez et, unique cas valaisan, Sierre. Mais qu'est-ce que le bilinguisme au fait?

Cette notion ne recouvre pas toujours la même réalité selon les contextes. Stricto sensu la personne bilingue est celle qui a été immergée dans les deux langues, souvent depuis sa tendre enfance. Or peu de personnes correspondent vraiment à cette définition, même dans les villes qui se proclament bilingues.

Pasteurs à l'aise dans les deux langues

Le bilinguisme repose notamment sur les capacités linguistiques des personnes et en particulier sur celles des ministres du culte. Peu de paroisses disposent de pasteurs également à l'aise dans les deux langues comme celles de Meyriez, de Cordast et de Sierre. Dans cette dernière, « un quart des paroissiens est alémanique, mais le gros des troupes passe facilement d'une langue à l'autre », confie le pasteur francophone René Nyfeller.

Bienne, située à la frontière linguistique dans le canton de Berne, a fait du bilinguisme sa marque de fabrique. Mais du côté des paroisses francophone et germanophone, celles-ci préfèrent cohabiter en bonne intelligence sans être tentées par un rapprochement pour l'instant.

Cet article a été publié dans :

Le quotidien fribourgeois La Liberté. Cet article a aussi été lu par plus de 1000 personnes sur la page ProtestInfo sur Facebook.