Kairos : une charte pour construire la paix

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Kairos : une charte pour construire la paix

9 septembre 2010
Fin 2009, un groupe de chrétiens palestiniens de diverses Eglises a publié un appel. Il interpelle les responsables politiques des sociétés palestinienne et israélienne, la communauté internationale et leurs «frères et sœurs dans nos Eglises» dans le monde sur la nécessité d’une paix accompagnée de justice. Muriel Schmid a rencontré le coordinateur du document palestinien baptisé Kairos.


Par Muriel Schmid, théologienne et professeure, Salt Lake City, La VP Neuchâtel Berne Jura

Nous sommes le 9 janvier; je suis arrivée à Jérusalem il y a une semaine comme membre de la nouvelle équipe d’accompagnement du COE ( EAPPI ). Un bus nous emmène à Bethlehem ; première vision pour moi de ce haut lieu du christianisme. On longe le Mur et on nous rappelle que la ville de Bethlehem est fermée sur elle-même.

D’Afrique du Sud en Palestine

Nous y rencontrons Rifat Kassis, le coordinateur du document palestinien Kairos. Il nous raconte en quelques mots sa genèse et sa rédaction. Et pour bien nous en faire comprendre l’importance, il fait cette comparaison inattendue: « Savez-vous la différence entre un théologien et un terroriste? Avec un terroriste vous pouvez négocier, c’est ce que j’ai appris lors des discussions autour du document Kairos! » On sourit de cette petite attaque contre les théologiens qui tiennent parfois plus à leurs dogmes qu’à l’Evangile.

Et pourtant, malgré leurs divergences, les chrétiens de Palestine se sont unis pour publier une réflexion théologique sur l’occupation israélienne. En l’intitulant Kairos, ils tiraient un parallèle direct avec l’Afrique du Sud et la prise de parole du même titre formulée par ses communautés chrétiennes en 1988.

Le document d’Afrique du Sud définissait son Kairos comme un moment de vérité, de défi et d’appel à l’action tout en soulignant le risque profond que ce moment ne soit pas reconnu comme tel par les chrétiens. Le titre complet du document palestinien reprend la même idée : « Kairos: un moment de vérité ».

Moment de vérité, mais pour qui?

Rifat Kassis insiste sur le fait que le document est avant tout écrit par et pour les communautés chrétiennes de Palestine, celles qui souffrent au quotidien et qui cherchent à donner sens à leur souffrance. Le Kairos palestinien offre ainsi une parole libératrice qui unifie les chrétiens de Palestine; il représente un symbole d’unité et de reconnaissance d’une réalité commune.

En deuxième lieu, le Kairos se conçoit comme un appel adressé aux chrétiens du monde entier, principalement ceux et celles qui oublient leurs frères et sœurs qui vivent en « terre sainte ». Cette parole qui dit l’expérience de l’occupation se veut ouverture vers le futur et vers le monde. C’est un élément de paix et de dialogue, en particulier si les Eglises et communautés internationales acceptent d’en discuter et d’y répondre.

Deux éléments contribuent à ce mouvement d’ouverture. Premièrement, une critique explicite et absolue des théologies qui nourrissent un système d’oppression, en ce cas précis celui de l’occupation en Palestine: reprenant un discours proche de la théologie de la libération, le document se veut « un appel à prendre le parti de l’opprimé, à faire en sorte que la Parole de Dieu reste une annonce de bonne nouvelle pour tous, et à ne pas la transformer en une arme qui tue l’opprimé. »

Deuxièmement, une invitation à redécouvrir, en temps de crise, la fonction prophétique de l’Eglise: la théologie prophétique représente la seule théologie qui puisse répondre à la situation et dénoncer courageusement l’oppression: « La mission de l’Eglise est une mission prophétique qui proclame la Parole de Dieu dans le contexte local et dans les événements quotidiens, avec audace, douceur et amour pour tous. Et si l’Eglise prend un parti, c’est celui de l’opprimé. »

Une reconnaissance nécessaire: « Venez et voyez »

A la fin des années 1980, la situation politique d’Afrique du Sud était connue et reconnue par la communauté internationale et la plupart des Eglises. Le document des églises sud-africaines pouvait donc compter sur une solidarité déjà existante et s’appuyer sur des réseaux importants pour disséminer son appel.

Par contre, les auteurs du document palestinien jugent nécessaire d’ouvrir leur déclaration par l’énumération des éléments d’oppression et de discrimination qui marquent la réalité quotidienne des Palestiniens; ils savent que leur réalité reste peu connue. Le document termine alors sur cette invitation: « Pour comprendre notre réalité, nous disons aux Eglises: venez et voyez... Venez connaître les faits et découvrir les gens qui peuplent cette terre, Palestiniens et Israéliens. »

Aujourd’hui, pour les chrétiens de Palestine, il ne peut y avoir de résistance au mal sans reconnaître l’occupation comme un péché. Et c’est là finalement le cœur du Kairos de Palestine : « L’occupation israélienne des Territoires palestiniens est un péché contre Dieu et contre la personne humaine... Toute théologie qui prétend justifier l’occupation en se basant sur les Ecritures, la foi ou l’histoire est bien loin des enseignements chrétiens... » Saurons-nous entendre cet appel lointain ?

En savoir plus

Le mot « kairos » vient du grec ancien ; ce terme représente une manière particulière de désigner le temps, non pas celui simple qui passe et qui se compte, mais celui qui surgit et qui place l’individu devant un choix décisif.

En ce sens, kairos signale l’urgence d’un moment unique qu’il faut savoir saisir. Le document d’Afrique du Sud définit ce kairos comme un temps de crise, de défi et d’appel à l’action tout en soulignant le risque profond qu’il puisse ne pas être reconnu comme tel par les chrétiens. Ce temps est ainsi présenté comme un moment de vérité.

  • Introduction au document Kairos et texte intégral.