L’Etat ne suffit pas? Dieu pourvoit

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L’Etat ne suffit pas? Dieu pourvoit

28 juin 2010
Grand Rapids - Les Eglises de l’Etat du Michigan consacrent une bonne partie de leur budget à l’aide sociale, complétant largement les prestations de l’Etat. Cet effort améliore les conditions de vie de milliers de personnes. Toutefois certaines voix de la Communion mondiale des Eglises réformées (CMER) critiquent une charité qui ferait l’économie de la remise en question du système qui engendre la pauvreté.


Par Aline Bachofner


Le bus qui mène les délégués de la CMER du Calvin College à l’Eglise presbytérienne de Westminster, dans le Heartside de Grand Rapids, traverse des quartiers cossus aux maisons gigantesques et pelouses impeccablement tondues. Le décor semble sorti tout droit d’une série américaine où les ménagères sont désespérées.

En moins d’un kilomètre, les décors hollywoodiens semblent bien loin. Les maisons se font plus modestes, les pelouses moins soignées. Les stores baissés et les carreaux cassés signalent les maisons inhabitées. En 2009, un foyer sur trente-huit était sous la menace d’une expulsion dans l’Etat du Michigan pour défaut de paiement et dans certains comtés de l’Etat, ce chiffre a bondi de 70% en 2010 selon un quotidien local, Kalamazoo Gazette.

Un Etat en crise

Dans le Michigan, la crise frappe encore plus durement qu’ailleurs. La débâcle financière de 2007 n’est que le coup de grâce porté à une économie qui n’en finit pas de mourir. James Penning, professeur de sociologie au Calvin College, estime à 200 000 le nombre d’emplois perdus dans l’Etat du Michigan depuis le début de la crise.

«Grand Rapids est la ville la moins touchée parce que son économie est plus diversifiée que Detroit, qui repose presque exclusivement sur l’industrie automobile», nuance le professeur. Mais la ville a quand même perdu 35 000 emplois en dix ans, rappelle Anne Weirich, pasteure chargée de la diaconie à l’Eglise presbytérienne de Westminster, qui compte 1300 membres.

Une Eglise s’engage

Pour venir en aide aux personnes que le système économique a laissé sur le carreau, l’Eglise presbytérienne de Westminster alloue 15% de son budget à l’aide aux personnes en difficulté. «Quelque 55% sont dévolus à des projets à l’étranger et 45% vont directement à la diaconie à Grand Rapids», explique Anne Weirich.

Dans le quartier de Heartside à Grand Rapids, entre 70 et 80 % de la population souffre de troubles psycho-sociaux ou mentaux»

Près de 250 000 dollars annuels permettent ainsi de financer un nombre considérable de projets: 500 à 600 personnes bénéficient chaque semaine d’une aide alimentaire sous forme de repas gratuits ou de panier de courses, un programme de réhabilitation remet en selle des personnes exclues du marché du travail, un restaurant autogéré fournit du travail à une vingtaine de personnes et de nombreuses organisations partenaires, co-financées par l’Eglise, viennent en aide aux sans-abris, aux enfants abusés, aux personnes souffrant de troubles mentaux ou encore d’alcoolisme, particulièrement présentes dans le quartier de Heartside.

«Ici 70 à 80 % de la population souffre de troubles psycho-sociaux ou mentaux», souligne Mme Weirich. Un chiffre saisissant qui s’explique par un changement de la politique de santé mentale sous l’administration Reagan, en 1980. Nombre d’établissements psychiatriques ont été fermés et la population de sans abris a alors doublé. A Grand Rapids, la majorité a été relogée à Heartside.

Nicole, victime du système de prêts

Chaque année, des centaines de personnes bénéficient de l’aide de l’Eglise presbytérienne de Westminster. Parmi elles, Nicole, jeune mère célibataire de 28 ans, qui s’est retrouvée dans un abri de l’Armée du Salut pour loyer impayé. Son histoire ressemble à beaucoup d’autres. Employée sans qualification, Nicole est licenciée à la naissance de son troisième enfant. «Aux Etats-Unis, l’employeur peut légalement vous renvoyer pour cause de grossesse si vous avez été engagée moins d’un an auparavant», explique la jeune femme.

Peu après, le papa s’en va et Nicole se retrouve seule, sans salaire, avec trois enfants de 12 ans, 4 ans et un an et demi. Devant l’incapacité d’honorer son hypothèque, elle doit quitter son logement et se retrouve dans un abri de l’Armée du Salut. Elle y restera un mois et demi avant que l’Eglise presbytérienne de Westminster ne lui propose de prendre en charge son loyer. «Mon appartement a été payé pendant un an, se rappelle la jeune femme, et une bénévole de l’Eglise, Diane, est venue me voir chaque semaine.

Elle a été un soutien précieux, aujourd’hui une vraie amitié nous unit», affirme Nicole. L’église a depuis gagné une paroissienne fidèle. «Ce n’est absolument pas demandé aux personnes que nous aidons, assure Diane Helle, la ‘mentor’ de Nicole. D’ailleurs, le cas de Nicole est plutôt une exception. Mais elle a trouvé ici une communauté chaleureuse qui ne la considère pas comme une simple bénéficiaire d’un programme d’assistance, mais comme une paroissienne à part entière.»

Partenaires de l’Etat

Les Eglises et les organisations non gouvernementales qui y sont associées constituent un véritable réseau social aux Etats-Unis. «Pour le seul comté du Kent, dans lequel se situe Grand Rapids, les Eglises consacrent 75,6 millions de dollars chaque année à la diaconie*, explique James Penning. Si on compte les heures de bénévolat, cela représente environ 120 millions de dollars épargnés par l’Etat».

Mais il serait faux de penser que l’Etat se repose entièrement sur les Eglises, «en réalité, il dépense dix fois plus que les Eglises dans des programmes sociaux.» L’Etat providence aurait-il donc gagné les Etats-Unis? «Notre modèle étatique se rapproche de l’Europe, il est beaucoup moins individualiste qu’au XXe siècle», affirme le professeur. Et cela se traduit dans le budget: «Pendant la Seconde Guerre mondiale, 60 % du budget fédéral allait à la défense.

Aujourd’hui, alors que notre pays est en guerre, il tourne autour de 10 à 11%. Le budget consacré à l’aide sociale a, lui, connu une évolution inverse, en particulier depuis que l’administration Obama a une politique sociale très active», explique James Penning.


Cette évolution ne fait pas que des heureux. Les partisans du «moins d’Etat» commencent à craindre pour leurs impôts. «La controverse est vive dans tout le pays, et se retrouve au sein même du Calvin College», reconnaît James Penning. Parmi les réformés américains, nombreux sont ceux qui estiment que l’Etat social entretient la dépendance.

La charité alimente-t-elle un système injuste?

Le 17 juin, les participantes à la Conférence des femmes, qui a précédé l’assemblée d’unification de la Communion mondiale des Eglises réformées, ont découvert l’engagement social de l’Eglise presbytérienne de Westminster au centre du Heartside. Les programmes d’entraide ont été salués, mais plusieurs voix ont critiqué une forme de «charité» qui fait l’économie d’une véritable analyse théologique et socio-économique d’un système jugé injuste.

Crise majeure

«Nous vivons aujourd’hui une crise majeure qui plonge ses racines dans le système financier américain, je pensais trouver ici une réflexion théologique aboutie sur la charité chrétienne et une remise en question argumentée du système qui a conduit à cette débâcle», explique Paulette Brown, co-organisatrice de la Conférence de femmes et pasteure de l’Eglise presbytérienne du Canada. La pasteure Anne Weirich reconnaît et regrette que cette question n’ait pas été soulevée par les intervenantes dans son Eglise, mais elle souligne que celle-ci s’investit dans la réflexion critique du système.

«L’an prochain, le thème qui guidera notre réflexion sera ‘Puis-je décroître pour que d’autres puissent croître?’. Des conférences, groupes de discussions et semaines de jeûne seront proposées pour réfléchir à l’impact de notre mode de consommation sur le reste du monde.» La pasteure Weirich entend bien amener d’autres églises à entrer dans cette démarche, qui se démarque singulièrement dans un pays où «décroissance» est largement considéré comme un gros mot.

L'exception Grand Rapids

Dans le Comté du Kent, dont fait partie Grand Rapids, 54% de la population se rend au culte chaque semaine selon un recensement régional menée en 2006. C’est 15 % de plus que la moyenne nationale. Selon une étude du Center for Social Studies du Calvin College*, à Grand Rapids, cette ville de 200 000 habitants (Comté de Kent: 600 000) compte 720 églises, véritable colonne vertébrale de la vie sociale et culturelle. Les évangéliques y sont majoritaires, suivis des réformés et des pentecôtistes. Bien loin derrière viennent les catholiques et les orthodoxes.

  • *Gatherings of Hope, How Religious Congregations Contribute to the Quality of Life in Kent County, par Edwin I. Hernández et Neil Carson. Calvin College, 2008.