Racisme voilé à propos du foulard musulman
La cause des femmes musulmanes est instrumentalisée pour durcir l’intégration des étrangers : Lavinia Gianettoni, psychologue sociale, Patricia Roux, directrice du nouveau Centre en études genre de l’Université de Lausanne et Céline Perrin, chercheuse en études genre, ont mené plusieurs études sur les liens entre sexisme et racisme.
Une de ces études analyse plus précisément les fondements sexistes et racistes des prises de position autour de l’interdiction du port du voile à l’école. En 2004, la France adopte une loi interdisant tout signe religieux ostentatoire dans le cadre de l’école publique française. Cette loi vise explicitement le port du voile de la part des jeunes filles musulmanes et prévoit l’expulsion de l’école des élèves qui refuseraient d’enlever le voile.
Féministes divisées
Cette loi a fait des vagues, notamment au sein du mouvement féministe. Une partie des féministes s’est en effet prononcée en faveur de cette loi, qu’elle considère comme un bon moyen pour lutter contre ce symbole de la domination patriarcale. Une autre partie des féministes est par contre opposée à cette loi qu’elle considère à la fois comme raciste - elle vise une religion spécifique, l’islam-, et sexiste en prévoyant l’expulsion de l’école des filles qui refusent de se dévoiler.
Pour y voir plus clair, trois chercheuses lausannoises, Patricia Roux, Lavinia Gianettoni et Céline Perrin, ont analysé ce que les prises de position pour ou contre cette loi doivent au féminisme et au racisme. Elles ont interrogé 172 femmes et 157 hommes en Suisse romande ; les chercheuses montrent que les opinions recueillies au sujet de cette loi sont structurées uniquement par leur adhésion plus ou moins forte à des croyances racistes, et pas du tout par leur degré de féminisme.
« Plus les gens ont une attitude méfiante à l’égard des étrangers, plus ils ont tendance à vouloir interdire le port du foulard, explique Lavinia Gianettoni, «L’attachement aux idées féministes, but affiché par les personnes qui soutiennent cette loi, ne joue aucun rôle à ce sujet » .
L'Occident comme modèle normatif
Les chercheuses lausannoises dénoncent la tendance à poser l’Occident comme un modèle normatif supérieur dont les autres devraient s’inspirer et à construire de ce fait une image des musulmans comme arriérées par rapport à une norme occidentale, affichée comme égalitaire. Le sexisme est considéré comme lié à l’étranger, à celui qui vient d’ailleurs.
Cette attribution du sexisme à l’Autre permet de détourner les regards de la réalité ici, de minimiser les inégalités de sexe, les discriminations et les violences sexistes qui existent pourtant toujours en Suisse comme dans le reste du monde Occidental (non partage des taches domestiques, inégalités des salaires, violence domestique, etc.).
Toutes les religions sont patriarcales
« Les discours actuels sur le sexisme extraordinaire des migrants, sont une manière de réguler et de légitimer des rapports de pouvoir racistes et sexistes», estiment les auteurs de l’étude. « Toutes les religions sont traversées par des logiques patriarcales. Mais lorsqu’on pointe du doigt uniquement l’islam de manière systématique, il en ressort l’impression que le sexisme est le propre des musulmans et que les Occidentaux ne sont pas ou plus sexistes, que les femmes, chez nous, ne seraient plus victimes de discriminations ».
A ce sujet, leurs études montrent que plus les personnes interrogées adoptent des attitudes racistes, plus elles attribuent un sexisme plus fort à l’Autre (étranger, musulman, Arabe, Noir, etc..) et moins elles reconnaissent le sexisme qui existe en Suisse. Ainsi, l’attribution d’un sexisme plus fort à l’Autre, aboutit d’un côté à légitimer des idées racistes (l’Autre est trop différent de nous) et de l’Autre à minimiser le sexisme occidental.
Fixation sur l'islam
Le sort des femmes musulmanes est instrumentalisé par le racisme dès lors que leur situation de subordination (subordination qu’elles partagent avec TOUTES les femmes) est mise en avant dans le but de stigmatiser un groupe social particulier, en l’occurrence les sociétés musulmanes. Lorsque le but est réellement de combattre le sexisme, d’un point de vue féministe et antiraciste, il vaudrait mieux s’attaquer au patriarcat en général plutôt que de cibler un sexisme qui serait lié à une culture particulière.
Concernant la fixation sur le voile comme étant LE symbole de la domination patriarcale, Lavinia Gianettoni fait remarquer qu’une femme nue sur des affiches placardées sur les murs, c’est aussi le corps féminin perçu à travers le regard masculin comme objet de désir sexuel que les uns veulent voiler, que les autres dévoilent sans scrupules.