Shafique Keshavjee met la mondialisation en roman:"Croire en Dieu, c'est se sentir relié au plus petit élément de la création"

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Shafique Keshavjee met la mondialisation en roman:"Croire en Dieu, c'est se sentir relié au plus petit élément de la création"

9 janvier 2004
Avec « La princesse et le prophète », la mondialisation a désormais son roman
Pasteur de l’Eglise réformée vaudoise, Shafique Keshavjee a choisi la forme romanesque pour expliquer les ambiguïtés et les effets pervers de la globalisation. C’est à Bombay, où se tiendra le 4e Forum social mondial du 16 au 21 janvier 2004, qu’il a imaginé la rencontre improbable entre deux mondes qui s’excluent. Entretien.« Pourquoi les Eglises n’interpelleraient-elles pas les multinationales installées en Suisse sur les effets de la mondialisation ? Par exemple sur les millions de petits producteurs de café qui n’arrivent plus à vivre de leurs récoltes à cause des prix tellement bas qui leur sont payés! Ou sur les ravages entraînés par le tabac sur les budgets alimentaires des consommateurs des pays du Sud. Homme au sourire qui agit comme un sésame, Shafique Keshavjee n’a rien d’un agitateur. Il croit fermement que les Eglises doivent poser des questions dérangeantes pour faire mûrir les consciences et qu’elles sont appelées à opposer à la logique de conquête du libéralisme économique une éthique du respect, de la réciprocité et de la justice. Selon lui, économie, écologie et œcuménisme qui partagent la même racine grecque doivent se féconder. Sans quoi, la qualité de la vie sur notre planète ne cessera de se dégrader.Des attaches sur trois continentsChargé jusqu’alors du dialogue interconfessionnel et interreligieux par l’Eglise réformée vaudoise, il a des attaches sur trois continents : né au Kenya dans une famille indienne de religion ismaélienne, il vit actuellement à Chexbres où il partage son temps entre sa famille – il a quatre fils -, et le nouveau ministère « Ethique et débats de société » qui lui a été confié. Il a profité d’un congé sabbatique pour écrire « La princesse et le prophète », fiction dans laquelle il expose les préoccupations fondamentales qui l’habitent. Il y décortique pêle-mêle la mondialisation avec ses effets positifs et pervers, la montée des intégrismes religieux, les questions écologiques les plus brûlantes du moment et s’insurge contre le mépris témoigné à l’égard des animaux qui ne sont pas de compagnie.

Le roman a des allures de manifeste : son auteur y consigne tout ce qui lui tient à cœur, révoltes, indignations, doutes, déchirements et questions, - Là où je suis, quelle est ma part de responsabilité dans ce monde ? - mais aussi espoirs, enthousiasmes, foi en la joie intérieure, envolées tendres et pudiques. L’homme est fleur bleue à ses heures. La petite mendianteL’idée d’un tel livre a germé lors de son dernier voyage en Inde avec son fils aîné. Il y a rencontré une petite mendiante, la Princesse du roman. Il a alors compris concrètement à quel point de bonnes intentions peuvent avoir des effets pervers, si elles ne sont pas soutenues par une bonne compréhension de la complexité des situations.

« Il s’agit de remettre en question notre bonne conscience, de porter un autre regard sur nos actions que nous croyons bonnes. Il est important que nous élargissions notre conscience à l’échelle du monde, que nous renoncions à une logique de consommation, que nous combattions toute logique de conquête, même religieuse.»

Il cite volontiers en exemple les dons faits par les pays riches ( avec la complicité naïve des paroisses) qui financent l’exportation des surplus de céréales de leurs agriculteurs. Ces surplus inondent alors les marchés des pays pauvres et sont revendus à un prix inférieur à celui du coût de production des cultivateurs locaux. Désespérés, ceux-ci n’arrivent plus à vendre leurs propres céréales et échouent finalement sans travail dans les bidonvilles des grandes villes. Ils deviennent alors les proies faciles de mouvements religieux radicaux. « Les bonnes intentions de ces Occidentaux ont en fait contribué activement à la déchéance des agriculteurs du Sud. La désintégration sociale et économique n’est pas sans lien avec l’essor des intégrismes religieux".

Pour Shafique Keshavjee, croire en Dieu, c’est être en lien avec le plus petit élément de la création. « Quand dans notre prière, on demande : Donne-nous notre pain de ce jour, ce n’est pas seulement pour soi qu’on le demande. Tant que quelqu’un a faim sur cette terre, le Notre Père n’est pas exaucé ! ».

Faut-il opposer à une société matérialiste une société religieuse ? A la question Shafique Keshavjee bondit. Pas question ! Il croit en une société de partenariat dans laquelle toute concentration abusive du pouvoir – politique, économique, idéologique - est combattue et s’oppose à toute société religieuse dont on sait qu’elle favorise souvent les dérives intégristes. Ce qui doit passer avant tout, c’est une maturation spirituelle qui mène à la joie intérieure et à un engagement responsable. Ces valeurs, il les fait vivre dans son roman à travers un personnage, un Indien dont le nom est prédestiné : Joseph Jesudasan !