Une fuite qui résonne jusque dans l’islam

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Une fuite qui résonne jusque dans l’islam

22 décembre 2003
La saga de la Sainte famille a connu un succès tout à fait extraordinaire dans le monde de la peinture
Intriguée par la popularité de ce thème, Lucette Valensi, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, a voulu comprendre les développements de cette saga. Elle vient de publier « La fuite en Egypte », un livre-parcours qui, du texte biblique, nous emmène dans le monde des récits apocryphes, puis dans celui de la littérature musulmane.

Comment la tradition chrétienne autour de la fuite en Egypte s’est-elle développée durant les premiers siècles du christianisme ? Un seul évangile canonique parle de la fuite en Egypte et très brièvement : l'Evangile de Matthieu (2, 13-15). Il est tout à fait surprenant de découvrir, au travers de l’histoire de la littérature comme de la peinture, que cette tradition s’est beaucoup développée au fil du temps. L’évangile du Pseudo-Matthieu (VIe ou VIIe siècle) amplifie cette histoire. Il raconte un arrêt devant une grotte, le repos durant la fuite en Egypte, autant de thèmes que l’on retrouvera dans l’iconographie occidentale. Désireux d’en savoir davantage, le croyant a posé des questions : combien de temps sont-ils restés en Egypte ? Ont-ils affronté des dangers ? Ont-ils rencontré des gens hostiles ? La demande en détails devait être forte. Les hommes d’Eglise ont utilisé cette demande pour approfondir leur annonce de l’Evangile et éduquer les croyants en leur proposant des histoires à portée morale ou théologique.Ces traditions narratives autour de la sainte famille se sont-elles développées uniquement en Egypte ?Non, ces traditions se sont développées dans toutes les régions de la chrétienté. On trouve des traditions arméniennes, des traditions syriaques, issues de l’Irak et de la Syrie actuelles, des traditions coptes… Il existe même des traditions musulmanes. Certains éléments de l’histoire de l’enfance de Jésus sont communs à toutes les traditions, d’autres sont spécifiques. Ce qui est surprenant, c’est que ces traditions se déplacent. On les trouve à la fois dans la sphère arabophone, dans des milieux où il y a des chrétiens orientaux, mais aussi dans des milieux turcs et des régions de langue persane où il n’y a quasiment pas de chrétiens.Les musulmans évoquent-ils ces traditions de la même manière que les chrétiens ?En gros, l’histoire est la même. C’est parce que l’enfant est menacé par Hérode que Marie et Joseph fuient la Palestine. La tradition musulmane développe particulièrement les prodiges de l’enfant Jésus. Au nombre de ceux-ci, le fait que l’enfant parle dès la naissance. Les traditions musulmanes considèrent Jésus comme un messager de Dieu et non comme son Fils. Le côté polémique de ces histoires réside donc dans le fait que les musulmans ne croient pas à l’incarnation.Qui sont les principaux auteurs musulmans qui vont développer ces narrations autour de la fuite en Egypte ?Il faut d’abord avoir à l’esprit que le Coran lui-même (VIIe siècle) relate des prodiges autour de l’enfance de Jésus. Ces prodiges ne se situent toutefois pas en Egypte.La fuite en Egypte apparaît dans différents genres littéraires: les histoires de prophètes avec des auteurs comme al-Fârisî (VIIe) ou al-Kisâ’i (XIIe) et les grandes fresques historiques. Les auteurs de ces fresques, al-Tabarî par exemple, n’hésitent pas à puiser dans des sources musulmanes et arabes, mais aussi dans des sources chrétiennes. Ils racontent la fuite en Egypte et la situent dans des sites qui existent encore aujourd’hui et qui constituent cette géographie sacrée.