La foi chrétienne face au scandale de la maladie

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La foi chrétienne face au scandale de la maladie

10 décembre 2003
Alors que se tiennent un peu partout en Suisse romande des cultes de guérison, les Eglises se confrontent à nouveau à la question de la souffrance physique
Pour dépasser l’injustice du mal et retrouver un chemin vers Dieu. « Lève toi et marche! » lance Jésus au paralytique. Comment comprendre ce passage saisissant de l’Evangile ? A une époque où se met en place une vision moins « instrumentalisée » de la médecine, et où en même temps les coûts de la santé deviennent un enjeu majeur dans tous les pays occidentaux, quel sens donne le christianisme au scandale de la maladie et au miracle de la guérison ?

Contrairement aux catholicisme, le très rationnel protestantisme a toujours regardé avec méfiance tout ce qui relève d’un autre ordre. Pourtant, depuis quelques années en Suisse romande comme ailleurs, réapparaissent des cultes de guérison et autres prières pour les malades. Dans le canton de Vaud, ce sont des célébrations pour les « fatigués et les chargés ». Ailleurs, comme à Genève, existent des Ministères baptisés « Renouveau et guérison ». Pour Christian van den Heuvel qui en a la charge dans la cité de Calvin, cette résurgence rappelle que « l’Eglise est aussi un lieu où l’on peut être soutenu dans l’épreuve, avec une communauté qui prie pour vous ». Tel est le vrai sens de la « compassion du Christ », ni condescendance ni mépris, mais capacité de « souffrir avec » autrui. Remettre le malade au centre de la liturgieUne fois par mois, à Champel, une quinzaine de pasteurs dirigent à tour de rôle un service centré sur cette « douleur imprévue qu’il faut assumer, affection physique mais aussi crainte d’une opération chirurgicale à venir ou douleur morale d’un divorce ou d’un chômage mal vécus ». Le but est de remettre la personne en détresse au centre d’une liturgie qui comprend souvent une imposition des mains et parfois une onction d’huile. « Des gestes symboliques qui affirment que Dieu accompagne dans le malheur ».

Dans une perspective chrétienne, la maladie est le signe d’une altération de la relation à Dieu, signification première du mot « péché ». Son existence est liée à l’entrée du mal dans le monde. Christian van den Heuvel : « Je ne la crois pas pour autant la conséquence d’un péché personnel. La maladie est toujours injuste, précisément parce qu’elle ne constitue pas une punition. Tout ce qui relève du désordre est arbitraire, les catastrophes naturelles ou la tyrannie d’un despote. Le Dieu auquel je crois ne vient pas supprimer le mal ou la mort, mais nous accompagner en partageant notre souffrance ».

Formatrice en aumônerie à l’Hôpital universitaire de Lausanne, Cosette Odier sait par sa longue pratique, « que l’origine de la maladie reste une question qui taraude beaucoup de gens ». Et pour laquelle il n’y a pas de réponse. « La maladie ne sert à rien. Je ne me vois pas dire à un patient que ce qui lui arrive va lui permettre de se découvrir. Mais que ce moment de crise l’interroge et lui permete peut-être de grandir ». Cela peut paraître profondément injuste, surtout quand une personne croyante a le sentiment de voir sa foi trahie. « On ne peut pas répondre que c’est ridicule. La première chose à faire est d’écouter ce sentiment, de le comprendre. Ensuite seulemnent, on peut parvenir à le dépasser. Un espace se crée pour une nouvelle dimension ».

Selon Cosette Cosier, le paralytique qui prend son lit et qui se dresse doit être compris dans le sens de cette Parole qui « met debout intérieurement et permet de ne plus voir ses maux de la même manière. A cet égard, la résilience est pour moi une autre façon d’évoquer la résurrection ». A l’instar de la maladie ou de la mort qui font partie de la distribution aléatoire du mal, la guérison ne se mérite pas. « Il s’agit d’abord d’être en paix avec ce que l'on vit, de demeurer en lien avec les autres comme avec soi-même », note à La Chaux-de-Fonds Gérard Berney, aumônier protestant. Le pasteur ne peut pas promettre la guérison:"Je peux seulement être aux côtés de quelqu’un et lui dire ce que je comprends de Dieu ». Quelle promesse ?Pour certains cependant, il faut aller plus loin. Tout le monde a vu ces images étonnantes d’un évangéliste américain aux allures christiques, exhortant un handicapé à quitter sa chaise roulante. Lors du dernier week-end de Pentecôte s’est déroulée dans le canton de Vaud, à Oron, une première « Conférence de guérison ». L’événement, qui a fait affluer plusieurs milliers de participants, était organisé conjointement par l’Eglise évangélique de la région et une « Association internationale du ministère de guérison » dont le responsable européen travaille sur place.

Le premier but de cette manifestation, explique le pasteur Werner Lehmann, était de « déployer l’Evangile et d’aimer le gens qui souffrent ». Le ministre évangélique évoque une approche spirituelle qui ne se substitue en rien à la médecine. « Nous n’avons pas promis qu’il suffisait de venir pour être soulagé ». Cependant, l’intitulé même du rendez-vous n’était-il pas de nature à provoquer tous les espoirs ? « Les gens doivent apprendre à faire confiance à Dieu, pas à nous! Notre volonté première est de faire connaître la Bible, même si naturellement nous espérons que des gens ont été restaurés dans leur santé », répond Werner Lehmann, qui ne cache néanmoins pas sa foi en une « prière agissante capable de susciter la guérison divine touchant tous les aspects de notre humanité ».

Issu lui-même du milieu darbiste, Christian van den Heuvel se méfie des « raccourcis destructeurs qui affirment un résultat au lieu de laisser Dieu agir ». « Les milieux évangéliques ont eu le mérite de mobiliser à nouveau les Eglises historiques qui avaient tendance à laisser de côté le problème de la maladie. En revanche, je ne me reconnais pas dans certains excès qui finissent par culpabiliser la personne souffrante si aucune amélioration n’est constatée ».