Journée Mondiale contre le sida :Malades en sursis : réapprendre le goût de la vie

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Journée Mondiale contre le sida :Malades en sursis : réapprendre le goût de la vie

28 novembre 2003
Que faire de sa vie quand on s’était résigné à mourir du sida ? Si les trithérapies ont éloigné la mort, elles n’ont pas résolu la difficulté qu’ont les malades à se projeter dans l’avenir, à surmonter l’exclusion et l’isolement
Pasteure au Ministère sida à Genève, Dominique Roulin est de plus en plus confrontée à des gens dépressifs à qui elle offre du temps et de l’écoute pour qu’ils retrouvent l’envie de vivre et parfois même de rêver. On se presse dans son bureau. Etat des lieux.Jeans et talons aiguilles, regard clair et cigarette au bec : Dominique Roulin est repérable entre toutes. « C’est notre Monseigneur ! », commente Eline, jeune ressortissante Togolaise, qui vient régulièrement dans le petit bureau-salon de l’entresol qui sert de lieu d’accueil au Ministère Sida de l’Eglise protestante de Genève. « Sans elle, je ne sais pas ce que nous serions devenues », renchérit Lucy, présidente de l’Association Solidarité Femmes Africaines de Genève (ASFAG) qui apporte une aide aux immigrées affectées par le sida. Lucy a mis huit ans pour sortir de son enfermement et se décider à frapper à la porte du Ministère sida. Dans la pénombre du local de la Place Jargonnant, à Genève, elle a pu confier sa souffrance et oser imaginer, avec l’aide de Dominique Roulin, un avenir hors du logement où la séquestrait son mari. Aujourd’hui divorcée, elle s’étonne de tout le chemin qu’elle a fait pour réintégrer le circuit et retrouver un sens à sa vie. A son tour, elle aide d’autres femmes atteintes, tissant avec elles des liens de confiance, d’appartenance, leur donnant des coups de pouce, les accueillant chez elles dans des moments de crise. Avec simplicité, elle avoue sa maladie et raconte comment le Ministère sida lui a permis d’avoir à nouveau des rêves, et un sentiment de dignité.

« Ici, explique Dominique Roulin, on essaie d’amener les gens à s’autoriser d’avoir un avenir, on ouvre une porte sur des possibles, on offre la rigueur nécessaire à un recommencement, on donne des coups de main logistiques, on aide à rédiger une lettre, on débrouille une situation, on établit un budget, on donne la possibilité aux gens de se rencontrer, de nouer des relations, pour sortir de leur isolement ».

Avec l’arrivée des trithérapies, le travail de la pasteure a changé : Après avoir été celle qui accompagnait les malades en fin de vie et qui leur assurait des funérailles chaleureuses et dignes, elle doit faire face aujourd’hui à la perte d’espoir qui mine ceux qui « vivent avec », rongés par l’inactivité, - beaucoup de malades sont à l’Assurance Invalidité - l’absence de projets, le manque d’insertion sociale et le rejet. « Une fois la mort évacuée par les trithérapies, explique-t-elle, l’entourage d’un malade ne se soucie plus trop de lui ni de ses états d’âme. Il vit, donc il va ! De quoi voudrait-il encore se plaindre ? On n’en parle plus. C’est une autre manière de le condamner, rappelle-t-elle, quoi qu’on en dise, cette maladie n’est pas comme les autres, elle reste impure à cause de la manière dont elle est transmise. On porte toujours sur les malades un regard culpabilisant ».

Le nombre de nouvelles personnes qui demandent un entretien a sensiblement augmenté ces derniers temps et prouvent bien qu’il y a une progression des nouvelles contaminations, qu’il ne s’agit pas seulement d’une froide statistique de l’Office fédéral de la Santé Publique. En effet jusqu’à fin septembre, Dominique Roulin a reçu 53 nouveaux « clients », souvent des personnes qui viennent de découvrir qu’elles sont séropositives et qui sont en plein désarroi, parfois même dans le déni. Elles cherchent à comprendre ce qui leur arrive. D’autres ont de sérieuses difficultés économiques et vivent dans la précarité que leur maladie rend encore plus pénible.