La violence de Dieu en question

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La violence de Dieu en question

30 octobre 2003
Pour le théologien genevois Albert de Pury, la confrontation avec les textes bibliques décrivant un Dieu guerrier ne peut être qu’enrichissante, à l’heure où se pose une nouvelle fois la question du lien entre violence et monothéisme
La violence, celle des hommes, celle de Dieu, constitue le fil rouge de la saison 2003-2004 du café théologique lausannois. Mardi dernier, c’était au tour de l’exégète Albert de Pury de dialoguer avec un public toujours aussi fidèle.

Le climat a changé, explique le conférencier. « Depuis une vingtaine d’années, beaucoup se demandent si les monothéismes cultivent un rapport endémique à la violence ». Conflit israélo-palestinien, fondamentalismes et intégrismes de tous poils : même si, à l’instar de la récente tragédie rwandaise, la brutalité humaine n’a nulle besoin d’une transcendance pour s’exprimer, la question de savoir si les religions sont génératrices de violence paraît à nouveau légitime.

Pour la tradition judéo-chrétienne, comme pour l’islam, elle se pose dès l’ouverture des textes sacrés. « L’Ancien Testament fourmille de textes guerriers liés à la conquête de Canaan et à la fondation d’Israël avec l’aide d’un Dieu vengeur. Le Coran, comme le Nouveau Testament, ne sont pas exempts de violence », rappelle Albert de Pury. Que faire avec de tels passages ? Pour le théologien, ignorer ces textes parce qu’ils nous dérangent constitue une mauvaise réponse : « En ce qui concerne la Bible, le canon désormais immuable nous oblige à nous y confronter ».Polyphonie biblique"Contrairement au Coran, plus uniforme, poursuit Albert de Pury, l’Ecriture est un véritable jardin littéraire d’une grande variété de genres et de styles. Chrétiens et Juifs sont appelés à s’y promener en toute liberté. Il y a là une véritable polyphonie, une mélodie complexe que l’on ne peut entendre qu’en la fréquentant avec une certaine assiduité ».Violence sans rapport avec la vérité historiqueOn peut naturellement remettre certaines lignes du Deutéronome ou de l’Exode dans le contexte de leur rédaction. Les chercheurs savent désormais que ces récits de conquête ne correspondent pas à une vérité historique. Il semble que l’apparition des Juifs en Palestine se soit déroulée de manière progressive, et plutôt pacifique. Pourquoi, dès lors, de tels textes ? « Ils ont été rédigés entre 640 et 609 avant Jésus-Christ, sous le règne de Josias, au moment où les Judéens reprenaient leur souffle entre une terrible domination assyrienne qui s’achevait et la montée en puissance des voisins babyloniens ». Dans cette perspective, l’Alliance proposée par le Deutéronome apparaît comme une résistance aux envahisseurs, avec la proclamation que le vrai roi est le Dieu d’Israël. « Les auteurs lui ont alors prêté une capacité de conquête aussi impressionnante ». A l’inverse, l’Ancien Testament contient des textes dits « sacerdotaux » clairement non violents et refusant toute finalité guerrière.

En amont de ce débat se situe naturellement la question du statut de la Bible. Autrefois, mais aussi aujourd'hui, ont noté plusieurs personnes dans l’assistance, la Parole était considérée de la même manière que le Coran pour les musulmans, révélation directe de la pensée divine. Mais La Bible est-elle un livre où seul Dieu parle ou plutôt une bibliothèque où l’homme s’exprime aussi ?, demande quelque'un dans l'assistance. La Bible juive était un projet de civilisation, celui de créer pour la jeune nation une littérature comparable à celle que possédaient les Grecs. Comment et de quoi ces écrits nous parlent-ils aujourd’hui ? La réponse dépend de chacun, mais Albert de Pury souligne que dans le christianisme, « on essaie avant tout de suivre un homme plutôt qu’un Livre ». Enfin, l’affirmation biblique d’un « Dieu pour tous les hommes » signifie à ses yeux le contraire d’une volonté d’asservissement des autres mais comme « un désir de transcender toute violence à travers un Dieu qui vient en aide à tous ».