Musée d’art et d’histoire de Fribourg : « Au-delà du visible »Des reliques pour exorciser la mort

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Musée d’art et d’histoire de Fribourg : « Au-delà du visible »Des reliques pour exorciser la mort

30 octobre 2003
Baroque et provoquant, le squelette d’un saint, orné de perles et de rubans et nonchalamment accoudé, figure à l’affiche de l’exposition « Au-delà du visible », inaugurée ce 30 octobre au Musée d’art et d’histoire de Fribourg
Plongée dans un étonnant patrimoine religieux qui témoigne de la ferveur populaire pour le culte des reliques. Calvin le condamna vigoureusement, le qualifiant de« vaine curiosité et de "superstition perverse ».

Le squelette du gisant, curieusement allongé dans son sarcophage de verre, a été orné de bandelettes et de gaze, de rubans précieux et de perles de verroterie autour de 1790. Il provient du couvent de Montorge à Fribourg où il avait été relégué par la paroisse de Tavel, quand la vogue des reliques est tombée en désuétude.

Il fut un temps où la mise en scène de squelettes des saints, installés dans des postures étonnantes, avait pour but de défier la mort et de montrer des martyrs victorieux, donc de vivifier la foi des croyants. Chaque paroisse se devait d’avoir un gisant, ou au moins des reliques de saints, souvent prélevées dans les catacombes romaines lors de la découverte en 1578 d’une galerie souterraine à proximité de la via Salarie Nuova à Rome. Les catacombes devinrent une source inépuisable de reliques qui furent dispersées dans les sanctuaires catholiques au nord des Alpes, en Suisse et dans les régions du sud de l’Allemagne. Un véritable trafic d’ossements s’instaura, entraînant de nombreux miracles grâce à leur intermédiaire.

Chaque église voulait avoir son gisant et ses reliques, même modestes, mais toujours richement enchâssées dans des reliquaires confectionnés par des moniales dont c’était devenu la spécialité.

Dans le canton de Fribourg, ce travail de mise en valeur des reliques fut essentiellement réalisé par les moniales de Montorge et de la Visitation que l’exposition fribourgeoise nous fait découvrir. Y sont exposés de minuscules reliquaires de poche et d’imposantes châsses comportant des fragments infimes d’ossements, de cheveux ou de peau, méticuleusement emballés et décorés de paperolles dorées sur tranches, - de fines feuilles de papier enroulées -, noyés de filigranes, de somptueux fils d’argent, rehaussés de scènes peintes et de fleurs artificielles. Certains de ces tableaux relèvent de l’art populaire, tout empreints d’une ferveur naïve proche de l’art des ex-voto ; d’autres, datant du 18e siècle, sont d’un grand raffinement et habillent la vierge comme une marquise.

A l’esthétique baroque succède au 19e siècle un style roccoco surchargé, prisant des mises en scènes doloristes encombrées de décorations et reflétant une terrible peur du vide. On se met à peindre des plaies qui saignent sur le corps des gisants, on idéalise les martyrs en leur fabriquant des visages en cire blafards et souffrants pour provoquer l’émotion et toucher le cœur.

A l’heure de la Réforme au 16e siècle, le faste des reliquaires et l’ampleur de la vénération populaire pour ces talismans prélevés sur des squelettes furent violemment fustigés par Calvin pour qui « le culte des corps saints » n’était que « vaine curiosité, superstition perverse », idolâtrie et supercherie pour « abuser le pauvre monde ».

Le concile de Trente réaffirma en 1563 la légitimité de la vénération des corps saints, en soumettant toutefois les reliques à l’approbation de l’évêque qui devait les authentifier par son sceau. Ce n’est que dans les années 1962-65 que le Deuxième Concile Vatican met en doute leur authenticité, ce qui provoque le retrait et la disparition progressive des reliquaires des sanctuaires. Ils ont été ressortis des réserves des abbayes et se retrouvent aujourd’hui au musée aux côtés d’un large choix de travaux de couvents qui avaient pour but d’occuper les mains des moniales, tout en favorisant méditation et dévotion et leur assurant un revenu.

L’exposition permet de découvrir des petits paradis installés dans des boîtes de verre et des crèches avec leurs figurines de cire sur fond de paysage miniature idéalisé. Ils côtoient de très savants découpages décoratifs, deux immenses tapisseries murales réalisées par les Ursulines au 17e siècle, et toute une collection de moules ayant servi à couler les visages des gisants et des figurines pieuses.