Les Romands ne verront pas « Luther »

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Les Romands ne verront pas « Luther »

16 octobre 2003
Le film du réalisateur canadien Eric Till, avec Joseph Fiennes dans le rôle-titre, risque de ne pas passer dans les salles suisses
Les distributeurs sont persuadés du désintérêt public et craignent de ne pas rentrer dans leurs frais. Les Romands ne verront sans doute pas un film tout public consacré à Luther. Pour l’instant, aucun distributeur suisse n’a acheté les droits de ce long-métrage consacré à la vie du père fondateur du protestantisme. « Il a été présenté au Marché du film lors du dernier festival de Cannes sans susciter le moindre intérêt », confirme Chahnaz Sibai, responsable de la programmation auprès de la filiale suisse d’Europlex, propriétaire d’une bonne trentaine de salles dans les cantons de Vaud et Genève.

Il y a quelques années, le public helvétique avait déjà été privé d’un film sur le destin du célèbre théologien allemand Dietrich Bonhoeffer. Il était dû au même réalisateur que celui de Luther, le Canadien Eric Till. Financé par la « Neue Filmproduktion », association américaine de Luthériens, l’Etat allemand et la région du Brandebourg, Luther a pour sa part coûté quelque 11 millions d’euros pour plusieurs mois de tournage en République tchèque, en Italie et dans les studios allemands « Bavaria Film ». Joseph Fiennes, acteur remarqué dans « Shakespeare in Love » et « Stalingrad », tient le rôle du réformateur allemand aux côtés de Peter Ustinov, Bruno Ganz et Claire Cox.

Comment expliquer ce désintérêt des distributeurs suisses ? « Il peut y avoir plusieurs raisons, explique Chahnaz Sibai, l’une d’entre elles est la médiocrité de l’œuvre, laissant présager une désaffection du public. C’est par exemple le cas de l’adaptation de la bande dessinée Blueberry avec Vincent Cassel, que personne n’a acheté ». Critiques plutôt élogieusesJustification en l’occurrence peu crédible. Le film est sorti le 30 septembre dernier aux Etats-Unis, et la critique d’Outre-Atlantique se montre dans l’ensemble plutôt élogieuse. Ainsi, dans le New York Times, le spécialiste du 7e art Stephen Holden évoque « une belle épopée, qui présente beaucoup de faits et d’informations historiques » malgré un script assez clairement en faveur de la pensée du moine de Wittenberg. Qualifiant pour sa part le film de « sérieux et éducatif », la journaliste du Chicago Tribune, Ellen Fox ,note que le film "peut séduire un large public : les fans du genre médiéval, les mordus de la BBC, les enseignants à l’école du dimanche comme les étudiants en histoire européenne ». Au Chicago Sun-Times, Bill Zwecker dépeint une épopée historique « émouvante et profonde, pleine de vérités universelles ».

Il est plus probable de mettre en cause la frilosité des distributeurs qui estiment que ce type de long-métrage ne rencontrerait aucun public. Chahnaz Sibai : « Les droits peuvent être très élevés, sans compter les nécessaires frais de promotion. En cas de doute, les distributeurs préfèrent souvent s’abstenir ». Pour sa part, le pasteur vaudois Maurice Terrail, créateur de la revue spécialisée Ciné-Feuilles n'est pas étonné: « Le cinéma est devenu une vaste industrie dont les règles sont celles du marché commercial. Difficile dès lors de jeter la pierre aux distributeurs ». Pour le pasteur, en revanche, la possibilité de disposer de ce long-métrage sur cassette ou DVD aurait un intérêt éducatif évident dans les paroisses et autres lieux de catéchisme.

Dommage tout de même, dans la mesure où il est permis de se demander si un film grand public consacré à un personnage-clé de notre propre histoire intéresserait vraiment aussi peu de monde. Luther aura une seconde chance en novembre, lors du marché du film à Milan. Mais la professionnelle d’Europlex avoue ne pas trop y croire. Restera ensuite un ultime espoir : que les producteurs acceptent une distribution libre dans notre pays, soit la mise à disposition gratuite de l’œuvre avec un éventuel bénéfice partagé ensuite entre la production et la distribution.