Les chrétiens irakiens craignent d’être des boucs émissaires

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Les chrétiens irakiens craignent d’être des boucs émissaires

24 mars 2003
En Irak, 4 pour-cent de la population est chrétienne
Avec l’intervention américano-britannique, ces chrétiens, très minoritaires au sein d’une population musulmane chiite et sunnite, voient l’avenir en noir. Ils redoutent une montée en puissance de l’islamisme radical et une hémorragie au sein de leur propre communauté. Joseph Yacoub, spécialiste des chrétiens irakiens, fait le point sur les craintes et les espoirs de cette communauté quelques jours après le début de la guerre.§Quel est le climat qui prévaut actuellement parmi les chrétiens d’Irak ?Depuis que le pire est arrivé, il y a un grand sentiment d’inquiétude et d’angoisse qui règne au sein de la communauté chrétienne irakienne. Ces chrétiens redoutent beaucoup les conséquences de cette guerre. Ils craignent la direction imprévisible qu’elle pourrait donner à l’avenir du pays. Les chrétiens de ce pays redoutent aussi les réactions que demain une partie de la population irakienne pourrait avoir à leur endroit. Les amalgames sont faciles ! Ils redoutent qu’on les assimile aux Américains et qu’on les désigne comme des boucs émissaires.

§Vous n’avez pas l’impression que l’arrivée des troupes américano-britanniques pourrait être perçue par les chrétiens irakiens comme une libération ?J’ai beaucoup de doute à ce propos. Depuis 1991, soit depuis la Deuxième Guerre du Golfe et l’embargo sévère, inhumain et injuste, qui a été imposé à toutes les composantes du peuple irakien, les habitants de ce pays ont beaucoup souffert. Les Irakiens en veulent beaucoup aux instigateurs de cet embargo, aux Américains particulièrement. Je ne vois pas comment les Américains pourraient du jour au lendemain se transformer en héros libérateurs, alors qu’ils ont été les plus fervents défenseurs de cet embargo.

Maintenant il peut y avoir ici ou là d’autres attitudes. Tout dépend de la tournure que prendront les événements.

§Au-delà de la guerre elle-même, quelles menaces pourraient peser sur l’avenir des chrétiens irakiens ?La première menace, c’est à mon sens la forte progression d’un certain islamisme radical, qui substitue à l’appartenance nationale, comme élément déterminant de l’identité, le facteur religieux. Quand le terme de musulman l’emporte, en matière d’appartenance nationale, sur le terme « arabe », un terme plutôt d’ordre culturel, il y a risque de rejet de toutes les personnes et de toutes les communautés qui se réclament d’une autre religion.

§Comment cela pourrait-il se passer dans un pays où, pour faire court, 60 pour-cent des habitants sont chiites et 40 pour-cent sunnites, où par conséquent les islamismes ne peuvent pas être identiques ?Ils ne peuvent pas être identiques, c’est vrai ! D’où une certaine espérance de voir demain le maintien d’une forme de régime politique qui ne soit pas très marqué par la religion. Mais dans le contexte actuel, il y a de forts risques que demain nombre d’Irakiens voient dans l’islam une idéologie politique de combat.

Personnellement, ce qui m’inquiète le plus, c’est la mise en place de l’après-Saddam. Lors du récent congrès de l’opposition irakienne à Londres en décembre dernier, les participants ont signé un texte où ils faisaient non seulement de l’islam la religion de l’Etat, ce qui se conçoit dans un contexte arabo-musulman, mais de la charia la source principale de la législation. C’est très préoccupant !

§Y a-t-il une autre menace qui pèserait sur les chrétiens d’Irak?Depuis 1961 et la révolte kurde qui a éclaté au nord du pays, la communauté chrétienne prend le chemin de l’exil. On estime à 250 000 le nombre de chrétiens qui ont fui l’Irak sur une population d’un million de personnes. Ces chrétiens se sont installés aux Etats-Unis. A Detroit par exemple il y en aurait 70 000. Mais aussi au Canada, en Australie, en Suède, en France et en Suisse. Cette vague d’émigration s’est particulièrement accélérée avec la guerre Iran-Irak durant les années 80 et la Guerre du Golfe en 1991.

§A quelles conditions un avenir serein serait-il possible pour les chrétiens de ce pays ?En bref, on peut dire qu’il faudrait que l’Irak, comme plusieurs autres pays du Moyen-Orient, repense la manière dont il envisage l’Etat. Il y a peu de démocratie dans cette région, peu de liberté de la presse, peu de liberté d’expression. Le pluralisme politique n’existe pas. Ça ne veut pas dire que ces pays n’ont jamais connu de démocratie! Il est erroné de dire que l’ « Orient est despote ». Cette région du monde a connu des moments de démocratie dans le passé. L’Irak entre 1920 et aujourd’hui a connu des périodes de liberté de la presse indéniables. La Syrie également !

Cet avènement de la démocratie pourrait créer un nouveau climat de cohabitation entre les communautés religieuses. La discrimination des chrétiens serait ainsi prohibée et tous les citoyens irakiens seraient au bénéfice d’une égalité de statut face à la loi. Ce qui est aussi nécessaire dans ce contexte, c’est un retravail de l’histoire. Une relecture et une réécriture de l’histoire de l’Orient arabe permettrait de souligner que le passé pré-islamique et pré-arabe fait partie intégrante de l’histoire de ce monde ! L’intégrer dans l’enseignement public de même que l’histoire du christianisme oriental permettrait de détendre le climat entre communautés.

§Etes-vous confiants par rapport à l’avènement de ce nouvel ordre politique ?Non, je suis un peu dubitatif… Je doute fort qu’une puissance politique, étrangère aux mœurs et aux coutumes locales, puisse instaurer de l’extérieur la démocratie. Et ce d’autant plus que l’intervention américano-britannique est perçue comme une démarche colonialiste !