Pourquoi tant de résistances face au don d'organes?Une journaliste lausannoise lève le tabou sur la transplantation

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Pourquoi tant de résistances face au don d'organes?Une journaliste lausannoise lève le tabou sur la transplantation

6 mars 2003
Avez-vous votre carte de donneur ? La question vous met mal à l’aise
Vous êtes en principe pour le don d’organes, mais vous êtes paralysé par toutes sortes de réticences. C’est que la question touche aux certitudes les plus intimes de chacun. En réalité, les résistances sont nombreuses face à une médecine qui provoque autant d’admiration que d’inquiétude! Une journaliste lausannoise a mené l’enquête, ne cachant ni le trouble des équipes soignantes des unités de soins intensifs, ni la joie des greffés, sauvés d’une mort imminente grâce à un don d’organes, encore moins les questions éthiques que pose la transplantation d’organes. Interview. Jusqu’à maintenant, l’information véhiculée par les médias s’est essentiellement focalisée sur les prouesses de la médecine de transplantation et les témoignages de reconnaissance des receveurs qui ont vu leur qualité de vie augmentée ou ont échappé à une mort imminente. Mais personne ne s’était encore attaqué aux questions tabous que soulèvent la transplantation, n’a analysé les causes des réticences du public pourtant maintes fois sollicité par des campagnes visant à augmenter le nombre de donneurs, ni entamé une réflexion de fond sur la mort, - quand le processus de la mort commence-t-il et quand finit-il ? L’âme est-elle présente jusqu’à l’ultime souffle ? -. Car la transplantation d’organes prélevés sur une personne morte pour « réparer » un malade, est loin d’être un geste anodin et touche directement à la question de la mort. Journaliste, Marlyse Tschui, a choisi de faire le tour complet de la question sans rien laisser dans l’ombre dans un ouvrage qui sort ces jours-ci en librairie.

Troublée par sa propre réaction horrifiée, après la diffusion d’un reportage télévisé consacré au premier homme qui avait bénéficié d’une greffe des mains, elle a mené l’enquête afin de nourrir sa réflexion personnelle. « Je voulais savoir ce qui se passait dans les coulisses de la transplantation et parler là cœur ouvert avec les différents acteurs en jeu ». Elle a interrogé des dizaines de greffés, de parents de donneurs, d’infirmiers, de médecins responsables d’unités de soins intensifs, de chirurgiens, de psychiatres et d’éthiciens, consulté une vaste documentation et analysé avec attention les avis recueillis sur un site Web outre-Atlantique, où s’expriment transplantés et familles de donneurs, à la suite d’une petite annonce qu’elle y avait rédigée. L’avalanche de messages qu’elle a reçus lui a permis de mieux cerner les réactions les plus représentatives face aux questions posées par la transplantation.

§Au terme de votre enquête, avez-vous pu arrêter votre propre opinion sur la question du don d’organes ?Je n’ai pas trouvé une réponse unique. Je ne peux affirmer ni un oui, ni un non clair à la question du don d’organes. C’est un sujet qui touche à mes interrogations fondamentales, à mon éthique personnelle et à mes émotions, dont il me faut tenir compte. La transplantation comme la procréation assistée et l’acharnement thérapeutique me posent problème. Il y a des progrès médicaux et scientifiques magnifiques, mais comme tout progrès, ils ont des effets pervers. Je suis frappée par le refus de la stérilité et ce droit à des enfants qui est revendiqué, mais aussi par le refus de la mort. La croyance en un progrès illimité est devenu une forme de déni collectif de notre finitude. Nous sommes tous mortels, et pourtant nous faisons comme si tel n’était pas le cas. Par contre, je sais que si l’un de mes proches avait besoin de la greffe d’un rein ou de moelle osseuse, je le lui offrirais volontiers, car il s’agit d’une transplantation de vivant à vivant et pour moi, elle va de soi. J’estime par contre que si l’on refuse d’être donneur, il faut être cohérent et renoncer à recevoir un don d’organe au cas où l’on en aurait besoin.

§On ne prélève des organes, que lorsque la mort cérébrale du futur donneur a été constatée. Mais est-il bien mort à ce moment-là ? C’est ce que se demandent bien les gens. Votre recherche vous a-t-elle permis d’y voir plus clair ?S’il est un point sur lequel je n’ai plus aucun doute, c’est qu’une personne en mort cérébrale n’a aucune chance de se réveiller un jour. Quand le cerveau est mort, l’individu est bel et bien mort. Des techniques sophistiquées permettent de s’assurer que le tronc cérébral, privé d’irrigation sanguine, est totalement détruit. Si vous débranchez le respirateur artificiel, cette personne cesse immédiatement de respirer et la mort intervient sur-le-champ. Ce n’est plus le coma, c’est la mort. Ce doute qu’ont beaucoup de gens quant à la survie possible d’une personne en mort cérébrale n’a plus de raison d’être. Il provient d’une époque révolue où il n’était pas toujours possible de vérifier avec une certitude absolue la cessation définitive de toute activité encéphalique. Puisqu’il n’existe plus aucune connexion entre le corps et le cerveau, logiquement, aucun signal de souffrance ne peut être transmis ni ressenti. A ce moment, l’âme du patient est-elle encore présente ? Peut-elle percevoir quelque chose de ce qui se passe ? C’est la grande question à laquelle personne n’a de réponse. De nombreux soignants parlent à un patient en mort cérébrale comme si celui-ci pouvait les entendre. Ils disent : « je sais qu’il est mort, mais je parle à son âme. »

§Entre le moment où le donneur est emmené vers le bloc opératoire et celui où le corps est restitué à ses proches après l’intervention, il s’écoule environ six heures. Une période douloureuse pour la famille, privée de veiller de corps pendant tout ce temps-là.On ne devrait pas renvoyer les proches à la maison pendant que la personne se fait explanter, mais mettre à leur disposition une pièce pour qu’ils puissent y attendre, et y ramener ensuite le corps, afin que la famille puisse veiller le défunt. Il faudrait absolument améliorer l’accueil des familles, pour qu’elle ne vive pas ces moments difficiles dans des conditions trop traumatisantes. Il faudrait aussi inventer de nouveaux rituels à partir du moment où la mort cérébrale est établie pour aider non seulement la famille mais aussi le personnel soignant. Je suis très sensible à l’aspect symbolique de la mort, à la dignité du mort que l’on doit absolument respecter.

§Vous abordez dans votre livre l’ambivalence des professionnels face à la mort encéphalique. Elle a été mise en évidence par une étude réalisée aux Etats-Unis dans quatre hôpitaux de Cleveland. Elle montre que l’atteinte massive à l’intégrité du corps du défunt peut s’avérer extrêmement éprouvante; même en étant convaincu de l’utilité du don d’organes, il faut avoir le cœur bien accroché pour assister à tous ces prélèvements successifs. (Si aucune mention n’a été précisée, le plus grand nombre d’organes est prélevé). Pour beaucoup d’infirmiers et d’anesthésistes, le moment le plus chargé émotionnellement est l’arrêt du ventilateur qui assure la respiration artificielle du patient. Une étude du CHUV à Lausanne montre que les donneurs sont moins nombreux aux soins intensifs que chet les médecins et les infirmiers des autres services. J’ai toutefois rencontré des soignants ayant leur carte de donneur, y compris aux soins intensifs.

§Vous avez rencontré des familles de donneur. Je suis admirative devant leur choix, leur générosité et leur courage.

§Quel avenir pour la transplantation ? Je crois qu’on vit actuellement une période de transition et que l’avenir est aux cellules souches et à la culture des cellules qui ont la capacité de se multiplier et d’accomplir n’importe quelle fonction, et qui pourront de ce fait, régénérer un organisme malade. Ces techniques de demain résoudront bien des problèmes éthiques qui se posent aujourd’hui.

§Marlyse Tschui, « Le don d’organes, donneurs, greffés et soignants témoignent », mars 2003, éd. Anne Carrière.