On vit toujours plus vieux, mais à quel prix?Le droit de mourir dans la dignité

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On vit toujours plus vieux, mais à quel prix?Le droit de mourir dans la dignité

7 février 2003
Aujourd'hui, avec les progrès de la médecine, on joue les prolongations
La vie à n'importe quel prix? Entretien avec Pierre Paroz, pasteur et enseignant, membre de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD).Les progrès médicaux ont permis l'augmentation de l'espérance de vie, mais avec parfois pour corollaire « un acharnement thérapeutique » sur des malades en fin de vie, qui a suscité de nombreuses réactions. « Dans les années 60-70, précise Pierre Paroz, des ADMD sont nées dans la plupart des pays développés, et avec elles, la notion d'"euthanasie" -bonne ou belle mort- a refait surface, opposée à "la mort en kit" du malade qui finit bardé d'appareils chirurgicaux, et ne doit sa survie qu'à des tuyaux ».

Parallèlement à ces associations, s’est développée la pratique des soins palliatifs , avec pour objectif d’apporter le plus de confort et de réconfort aux personnes en fin de vie. « Ceux qui adhèrent aux ADMD, tout en saluant le progrès apporté par les soins palliatifs, doutent de la capacité de ceux-ci à apporter LA solution au problème de la fin de la vie dans tous les cas. La question de l’« euthanasie » est complexe. ADMD en distingue trois types: -passive: c'est renoncer à tout traitement curatif; -active indirecte: c'est donner au malade, pour atténuer ses douleurs, des sédatifs à des doses qui, peuvent provoquer la mort; -active directe, qui consiste à administrer au malade, sur sa demande insistante, une piqûre provoquant l’arrêt des fonctions vitales. On parle enfin de suicide assisté lorsqu’un tiers fournit un breuvage létal au malade qui l’absorbe lui-même. » Pierre Paroz considère que les deux voies - soins palliatifs et «choix de sa mort» - ne sont pas concurrentes, mais complémentaires: « Souvent, les personnes ayant écrit leurs dernières volontés, qui savent qu'elles ne seront pas soumises à un traitement inhumain et que le cocktail létal leur sera fourni si nécessaire, sont rassurées, et très souvent, cette demande ultime n'est pas présentée. »

§Une longue histoireLa question de la dignité de l'homme a déjà hanté les philosophes gréco-romains. Ils se demandaient quels moyens le sage possédait pour vivre une vie digne jusqu'au bout. « Le suicide pouvait être considéré comme admissible si le sage n'avait plus de quoi faire fonctionner sa raison, et si sa vie devenait trop infernale. Puis, avec l’avènement de la théologie chrétienne, un changement radical s'est opéré: la vie y est considérée comme un don de Dieu, et l'homme n'a pas le droit d'en disposer. On a refusé la sépulture chrétienne aux suicidés. A l'époque moderne sont proclamés les «droits de l’homme», dessinant la figure d’un individu libre et responsable de ses choix. Paradoxalement, le développement scientifique et médical, avec son acharnement thérapeutique dans sa phase ultime, a conduit à la négation de la liberté et du choix personnel, et ceux qui clament qu'il faut "laisser faire la nature" sont plutôt mal barrés. » Il y a longtemps que la médecine ne laisse plus faire la nature, et la question d'André Comte-Sponville resurgit: « Celui qui voulut vivre libre, pourquoi devrait-il mourir en morceaux? »

§Choisir sa mort: l'ultime libertéPierre Paroz refuse l'alternative qui place l'euthanasie ou le choix de sa mort nécessairement du côté de l’incroyance. « Ce n'est pas parce que j'ai la volonté de prendre en charge ma propre vie jusqu'à sa fin que je prétends pour autant avoir le droit d'en disposer. Il y a un double mouvement, comme dans la prière du Requiem: "gere curam finis mei", «prends en charge le souci de ma fin». Ce souci est remis entre les mains de Dieu, et en même temps, je le reçois en retour comme tâche d'amour, qui m'est donnée avec les progrès médico-pharmaceutiques. Il sera d'ailleurs bientôt possible de reculer les frontières de la mort presque indéfiniment. Qu'allons-nous en faire? Comment allons-nous «gérer notre fin» de manière respectueuse de la vie, de la foi, de la dignité, de la liberté? Si nous nous accrochons jusqu'à plus soif à cette vie sans laisser la place aux plus jeunes, quelle sorte d'hommes serons-nous? » On accuse souvent les membres de l'ADMD de ne pas vouloir souffrir. « C'est faux. Je demande seulement à pouvoir mourir dans la dignité. Je voudrais être de ceux qui réfléchissent aux questions de la fin parce que le respect de la vie nous y contraint. Peut-être qu'accepter la mort, c'est aussi accepter qu'elle vienne maintenant et ne plus lutter pour la faire reculer. Cela suppose un apprentissage de sagesse. »