Eric-Emmanuel Schmitt ce soir au CPO à Lausanne : « La confiance est le vrai nom de la foi » Notre interview

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Eric-Emmanuel Schmitt ce soir au CPO à Lausanne : « La confiance est le vrai nom de la foi » Notre interview

15 janvier 2003
C’est à Lausanne qu’est née la trilogie d’Eric-Emmanuel Schmitt dont « Oscar et la dame rose », livre rare et bouleversant, est le dernier volet
Il fait actuellement un tabac dans les librairies. L’écrivain est revenu sur les bords du Léman pour dialoguer avec ses lecteurs au Centre Paroissial d’Ouchy à Lausanne. Conversation avec un homme qui a trouvé la confiance en se perdant dans le désert.Fossettes gourmandes de gamin espiègle, regard attentif, silhouette noire élégante, Eric-Emmanuel Schmitt a le verbe généreux, limpide et apaisant. Professeur de philosophie, il a dû quitter l’enseignement à cause du succès foudroyant qu’il a remporté comme auteur de théâtre, dont les pièces sont jouées dans 35 pays. Il s’est retiré à Dublin, en Irlande, pour y ciseler livre sur livre.9 textes pour la scène en 11 ans, un essai sur Diderot, une traduction française des « Noces de Figaro »,7 romans. C’est désormais dans ses livres qu’il s’étonne, réfléchit et cherche à transmettre ce qui donne sens à son existence.

§Dans « L’Evangile selon Pilate », « Le Visiteur » et « Oscar et la dame rose », vous suggérez des pistes de réflexion, vous ne fournissez jamais de réponses aux questions existentielles et spirituelles qui vous habitent.Les réponses nous divisent, alors que les questions nous réunissent. Ce que les hommes partagent, c’est une fragilité et des questions. Quand je regarde quelqu’un, je vois toujours que comme moi il va mourir un jour. Du coup la haine ou la colère que j’aurais pu avoir à son égard, disparaît. Je partage avec l’autre un même questionnement. Il ne faut surtout pas avoir des certitudes, elles peuvent nous mener tout droit au fanatisme.

§« Je veux devenir le Monsieur qui a fait pleurer tout le monde dans la salle ! » avez-vous dit quand vous étiez enfant, au sortir d’un spectacle. Avec « Oscar et la dame rose », vous avez réussi, on ressort de sa lecture chaviré! Avec ce livre, j’ai voulu raconter une expérience mystique avec un langage d’enfant. Au début, le petit Oscar souffre de silence et de solitude, parce que tout d’un coup, tout le monde se tait autour de lui. C’est pas dans son corps qu’il souffre mais dans son âme, parce qu’il sait qu’il est plus un malade qui fait plaisir, que personne ne rigole quand il dit quelque chose de drôle et qu’on le prend pour un imbécile en ne lui parlant pas franchement. Il est dans la solitude radicale de celui qui souffre, et qui ne peut ni nommer, ni partager sa souffrance. C’est la dame rose qui n’a peur de rien, pas même de la mort, qui va le réconcilier avec ce qui lui arrive, avec ses parents, lui redonner le sens de l’urgence pour vivre l’essentiel en très peu de temps. Oscar a dix ans dans le livre, mais il a aussi 20 ans, 80 ans, il est le petit garçon qui ne sait pas ce qu’il fait sur cette terre, il est comme vous et moi !

§Vous avez connu une expérience mystique qui a tout changé. Je suis né athée dans une famille athée. Mes études de philosophie m’ont rendu agnostique. La philosophie m’avait appris à suspendre mon jugement, à dire « je ne sais pas ». Croire n’est pas une position philosophique, c’est un acte indécidable par sa seule raison, donc je ne croyais pas en Dieu. A 29 ans, j’ai fait un voyage dans le désert où j’ai failli mourir. J’étais dans un groupe de 10 personnes, et je me suis perdu quasiment volontairement. Je suis descendu de la montagne à toute vitesse devant tous les autres et sans me retourner, comme s’il fallait que j’aille vite, comme si j’avais rendez-vous avec quelque chose, et tout d’un coup, à sept heures du soir, la nuit est tombée, je me suis retrouvé seul. J’ai appelé, personne ne m’a répondu. J’avais passé la crête, le campement était de l’autre côté de la montagne. Je me suis abrité derrière un gros rocher, et j’ai passé la nuit, la tête dans les étoiles. Cette nuit–là m’a donné la foi. Au lieu d’avoir peur, j’ai eu confiance. Elle m’est tombée dessus, j’ai fait l’expérience de l’absolu, de cet instant où les questions cessent, où l’inquiétude fait place à la plénitude. Je me suis dit que je pouvais peut-être mourir si on ne me retrouvait pas, mais que ce n’était pas grave, ça pouvait même être une bonne surprise. Quand le soleil s’est levé, je me suis aperçu que j’étais du mauvais côté de la montagne. J’ai grimpé la pente pour redescendre du bon côté. Quelqu’un m’a aperçu, juste avant la nuit.

§Cette confiance ne vous a plus quitté ?Non, il y a des moments de silence, où le potentiomètre est plus bas. Tout ne se met pas en mot après une nuit comme ça. J’ai connu un sentiment extrêmement fort qui m’a donné un optimisme et une confiance immenses.

§Le doute fait-il partie de la foi pour vous ? Le doute, c’est un mouvement de ma foi, comme le flux et le reflux d’une vague, comme les oscillations entre le cœur et la raison. Je doute en Dieu comme je crois en Dieu. Je ne doute pas hors de Dieu. J’ai fait le pari de Pascal. On a tout à gagner à faire confiance à Dieu. Il est important d’arriver à jouir de l’existence pure, de sentir le mystère de la présence de Dieu.

§ Il a laissé les hommes libres, dites-vous dans « Le Visiteur », mais Il souffre de voir ce que les hommes font de leur liberté.J’ai même dit qu’il était déprimé et qu’il était en mauvaise compagnie, personne n’étant digne de lui ici-bas.

§Comment acceptez-vous que Dieu permette la mort des innocents par exemple ? Je distingue très nettement le mal dont les hommes sont responsables, du mystère que Dieu provoque. Se scandaliser contre la mort me paraît faux. La mort n’est pas une punition. Face à la perte de quelqu’un, on est dans la dimension du manque insupportable. Ce n’est pas la mort qui est intolérable, mais la séparation d’avec l’autre, la disparition de l’être qu’on aimait.

§Comment croire en Dieu après Auschwitz ? Comment croire en l’homme après Auschwitz ? Dieu n’est pas responsable du mal que les hommes font.