10 décembre, Journée des droits de l’homme :Le respect de la liberté religieuse progresse en Algérie

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10 décembre, Journée des droits de l’homme :Le respect de la liberté religieuse progresse en Algérie

6 décembre 2002
Le 10 décembre est l’occasion de rappeler que la liberté de conscience et de religion occupe une place de choix dans la Déclaration universelle des droits de l’homme
Aujourd’hui, ce droit est foulé aux pieds par nombre d’Etats dans le monde. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le respect de ce droit fondamental progresse en Algérie. Avec l’irruption dans le paysage religieux de nouvelles communautés chrétiennes en Kabylie. Reportage.

(Photo à disposition)

Il est 10 heures. Nous sommes un vendredi à Tizi-Ouzou, à l’est d’Alger. C’est l’heure du culte en ce jour chômé en Algérie. Et dans une salle au deuxième étage d’un petit immeuble, entre 200 et 300 personnes chantent leur foi en kabyle. Dans un pays qui, depuis 1991, a connu d’atroces tueries : plus 100'000 morts, victimes des violences islamistes et des répressions gouvernementales. une évolution religieuse impensable pour nombre d’observateurs a vu le jour : plusieurs nouvelles communautés chrétiennes se développent en Algérie, surtout en Kabylie. Au point que l’Eglise protestante d’Algérie, la fédération qui regroupe les différentes communautés protestantes algériennes, est passée de 3 à 11 membres en l’espace de quelques années, avec encore plusieurs candidats sur une liste d’attente !

§Eviter les provocationsLa salle de culte est située dans une maison privée. De l’extérieur, rien ne la distingue des bâtisses avoisinantes. Pas de plaque ni de croix ! « Mais ici tout le monde connaît l’Eglise de Tizi-Ouzou, nous glisse Salah. On saurait donc vous indiquer le chemin si vous souhaitiez vous y rendre.» Dans cette société si fortement marquée par la religion musulmane, vouloir afficher des convictions chrétiennes sur la façade de l’immeuble serait interprété comme une provocation.

Salah a 35 ans. Il a découvert la foi chrétienne en 1988 à l’Université de Tizi-Ouzou au travers d’un ami. Petit à petit, dans le cadre de cette vie universitaire, un groupe de chrétiens s’est constitué. En mars 1996, un pasteur pentecôtiste français, Philippe Martinez, transmet à ces jeunes chrétiens une impulsion décisive. Il les encourage à louer une salle dans la ville de Tizi-Ouzou. Salah, Tariq, Amrane, Karim et d’autres décident d’organiser des cultes dans le restaurant d’un des amis de cette communauté protestante. « Se réunir un vendredi matin, hommes, femmes et enfants ensemble, et de plus dans un bar-restaurant, c’était un véritable défi ! » explique Salah. En terre arabo-musulmane, il y a peu de lieux qui connaissent la mixité. Les hommes vont seuls dans les bars. Ils n’assistent qu’entre hommes à la prière à la mosquée.

§25 baptêmes tous les deux moisLa communauté chrétienne de Tizi-Ouzou baptise actuellement 25 personnes tous les deux mois. « Lors des baptêmes, souligne Salah, nous demandons publiquement aux candidats si quelqu’un les force à se faire baptiser. Dans une société marquée par le poids de la religion, on essaie d’éveiller les gens à la liberté et de les appeler à la responsabilité ! » Pour Salah, il y a là une différence fondamentale qu’il faut annoncer au grand jour : le Dieu de l’Evangile se propose, il ne s’impose pas.

Les trajectoires de vie qui conduisent ces Algériens au Christ sont multiples. Certains sont devenus chrétiens par des amis qui leur ont parlé de leur foi nouvelle. Youssef, par exemple, un jeune vendeur en parfumerie, a découvert le message du Christ au travers d’un groupe de jeunes qui, dans son village natal, lui ont parlé de leur foi. Djoura, une étudiante autrefois dépressive et suicidaire, a découvert le Christ au travers de rêves, tout en fréquentant une amie qui lui parlait de ses convictions chrétiennes. Ahmed, un barbu de 45 ans, autrefois proche des milieux islamistes, a entendu parler de l’Evangile au travers d’émissions de radio. Diffusées par Radio Monte-Carlo très tôt le matin, ces émissions en kabyle l’ont rencontré dans ses attentes spirituelles, alors qu’il était insomniaque.

Cet engouement pour la foi chrétienne dans un pays où l’islam est religion d’Etat, n’est pas passé inaperçu. De nombreux journaux algériens ont publié des jos_content sur ce « bouleversement » du paysage religieux. Parfois avec l’intention de saluer la liberté de conscience dont font preuve ces nouveaux chrétiens. Souvent aussi pour rappeler que l’unité de la nation algérienne se fait autour de l’islam et que les chrétiens algériens trahissent l’identité nationale.

§Fatwa inquiétanteMgr Henri Teissier, l’archevêque catholique d’Alger, a été sollicité voilà une année et demie par un journal arabophone pour commenter cette évolution religieuse en Kabylie. Figure de référence en matière de christianisme en Algérie, Henri Teissier a tenté de montrer à la journaliste qui l’interrogeait combien il était important pour la société algérienne de respecter le cheminement personnel de chacun, même s’il diverge de la démarche que poursuit une majorité d’Algériens. La journaliste publia fidèlement l’interview. Mais elle l’assortit d’une prise de position du Ministère des affaires religieuses dans laquelle on pouvait lire : « Le converti venant de l’islam (l’apostat musulman) doit être tué selon le texte du Coran, s’il ne se repend pas » ! Même si, comme le souligne Mgr Teissier, cette « fatwa » (cet avis de droit) n’émanait pas du ministère en tant que tel, mais d’un fonctionnaire particulier de ce ministère, elle n’a pas manqué d’inquiéter.

Depuis Tizi-Ouzou, Salah qui fait un peu office de pasteur dans la communauté chrétienne, ne peut que prendre note des débats qui traversent la presse à propos du développement des communautés chrétiennes. Entre les Algériens de sensibilité laïque ou certains musulmans qui acceptent pleinement les chrétiens et l’attitude des islamistes qui considèrent les disciples du Christ comme des « croisés » à la solde de la civilisation occidentale, le panel des opinions est extrêmement large. Néanmoins Salah tient à exprimer sa reconnaissance aux autorités qui « tolèrent les chrétiens et qui veillent à ce qu’il n’y ait pas de provocations à leur endroit ». Jusqu’à maintenant, les différentes communautés protestantes en Algérie ont échappé à toute mise en danger de l’intégrité physique de leurs membres. Peut-être que la présence systématique de policiers en civil au culte à Tizi-Ouzou y est pour quelque chose.