A Genève, l’esprit libertaire envahit un temple

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A Genève, l’esprit libertaire envahit un temple

28 novembre 2002
Exemple d’expérience d’Eglise dans la ville, « Evangile et Travail » a pris ses quartiers aux Pâquis depuis deux ans
A l’heure de son évaluation par l’Eglise genevoise, retour sur les origines et les buts de ce ministère. Pour Christian Garin, l’un des deux permanents d’ « Evangile et Travail », c’est d’abord une question de proximité. « Comme ailleurs à Genève, la population du quartier a des problèmes professionnels, financiers et humains. Nous essayons de ne pas seulement proposer un grand discours sur l’espérance, mais de rester proche de la réalité des gens ». La cinquantaine remuante, le pasteur a roulé sa bosse avant de se retrouver en charge de ce ministère. Quelques années dans une entreprise de maçonnerie lui ont notamment fait partager d’une manière très concrète les petites et grandes misères du monde ouvrier. « A l’époque,peu de monde arrivait à la retraite. Il fallait voir l’état des ouvriers qui redescendaient du chantier de la Dixence. Aujourd’hui, le boulot est sans doute physiquement moins dur, mais la pression psychologique sur l’emploi rend les choses tout aussi pénibles ».

§La parole aux sans voixLors de sa création en 1953, « Evangile et Travail » s’appelait le Ministère dans l’industrie, puis il est devenu le Ministère auprès des apprentis et travailleurs. « C’était l’époque de la lutte des classes et des syndicats de la métallurgie ». Les appellations ont changé, mais pas l’esprit. Ici, on ne se cache pas de faire de la politique, comprise comme un intérêt pour la vie de la Cité. On revendique aussi un esprit libertaire, considéré comme pleinement en accord avec la Bible : « Nous permettons aux sans voix de prendre la parole, d’oser débattre, d’exprimer leurs ennuis. Dans le message divin, il y a l’unité fondamentale du genre humain et l’utopie d’une allocation à laquelle chacun a droit, le banquier comme le chômeur. Et ce discours, ça fait longtemps que même la gauche l’a abandonné », sourit Christian Garin.

§L’homme proteste, Dieu aussiIl y a deux ans, la paroisse des Pâquis a été agrandie et s’est retrouvée avec deux lieux de culte. Après quelques tractations, le temple des Pâquis est prêté à la petite équipe d’« Evangile et Travail » qui y organise régulièrement des rencontres et des débats. « Des cultes aussi, réintroduits dès mon arrivée, ajoute Christian Garin. Nous en célébrons un le dimanche soir, pour ne pas concurrencer nos voisins. Il n’y a pas la foule, mais pas plus qu’ailleurs, ce n’est considéré comme un critère d’échec. L’important est ce rendez-vous avec Dieu, avec une préparation en groupe et une confrontation de l’Evangile avec l’actualité. Nous lisons aussi un texte de protestation pour symboliser le refus de l’injustice par Dieu, qui rejoint le cri des hommes ».

Ancrer le spirituel dans le quotidien : Pour Christian Garin, il est important que les gens comprennent que l’on peut aussi évoquer des soucis très terre à terre dans une église. « On peut en parler dans un lieu de culte ; Dieu n’est pas contre ».

Le ministère d’« Evangile et Travail » est soumis à une évaluation depuis septembre dernier par les autorités de l’Eglise genevoise. En jeu, l’équivalent d’un demi-poste, car Christian Garin et sa collègue Françoise Bourquin-Gallina ont estimé important de s’y consacrer pleinement. C’est l’occasion d’un premier bilan, notamment de ces soirées où des invités parfois prestigieux ont accepté de venir parler devant un public parfois assez maigre. « Désormais nous comptons en général entre dix et vingt personnes, avec à chaque fois un ou plusieurs visages inconnus ». Au temple des Pâquis, on évoque les votations lorsqu’elles touchent à la vie de tous les jours, on parle de la ville, de ses sans-papiers, de ses postes qui ferment, du revenu mininum de réinsertion. « Pour l’instant, les paroisses nous sollicitent peu pour une conférence ou une prédication. Comme si l’on aimait bien parler de la charité, mais moins s’interroger sur ses racines ». A Genève, l’Eglise réformée semble pourtant tenir à ces empêcheurs de tourner en rond, puisque l’évaluation semble devoir être largement positive.