Sur les traces de Dietrich Bonhoeffer, martyr de la résistance anti-nazie

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Sur les traces de Dietrich Bonhoeffer, martyr de la résistance anti-nazie

25 novembre 2002
Plusieurs ouvrages ont été publiés cette année sur Dietrich Bonhoeffer
Dans « Sans autre guide ni lumière », Michel Séonnet nous entraîne à Berlin sur les traces du prisonnier de Tegel. Un voyage qui mêle la pensée de Bonhoeffer à une visite des lieux où cette destinée s’est nouée.

Quand Michel Séonnet arrive à Berlin, il atterrit dans une ville où « on semblait n’avoir agi qu’à effacer les traces ». Dans la nouvelle capitale de l’Allemagne, aucune rue, aucune station de métro ne porte le nom de Dietrich Bonhoeffer. Sous les chantiers et par delà la destruction du Mur, le passé s’efface inexorablement.

C’est la peur de perdre les traces qui conduit l’auteur passionné de Bonhoeffer à Tegel. Le pasteur y a été emprisonné pour être entré dans une conjuration contre le Führer. Car celui qui aurait pu se contenter d’un travail universitaire a ressenti le devoir impérieux de s’engager pour côtoyer l’abîme avec tous les siens.

§Un non viscéral et absoluQualifié de « fanatique »par certains des ses collègues enclins aux compromis, Dietrich Bonhoeffer rejette toute concession. Face au nazisme, il reste convaincu qu’on ne peut « biaiser, négocier, abandonner quoique ce soit, qu’à ces gens-là, cette pensée-là, ce régime-là, il fallait opposer un Non ! » Ce refus lui vient du plus profond de son être, et surtout de sa foi. Quand l’Eglise allemande se couche devant Hitler, quand les proches amis de l’Eglise confessante cèdent, Bonhoeffer se montre inflexible : accepter le moindre compromis avec les nazis, c’est ni plus ni moins que « renoncer au Christ ».

Héros et penseur de la résistance, Bonhoeffer est bien connu. Mais Séonnet décrit aussi l’homme, l’amoureux qui reçoit le « oui » de sa fiancée en prison. Couple séparé par un mur dont le romancier français nous apprend - et pour cause - qu’il ne reste aucune photo. Encore le manque des traces !

Au travers des anecdotes, de la correspondance restituée, on comprend les soucis humains de Dietrich. On perçoit les inquiétudes d’un croyant sans cesse menacé par le découragement, qui s’accroche à son « programme » : gymnastique, lecture et écriture. Une vie de prisonnier que viennent éclaircir les visites de sa jeune promise. Ils rient du sapin de Noël quelle a réussi à faire entrer jusque dans la geôle : « N’est-ce pas que même quand nous rions nous sommes un peu tristes ? », lui écrit-elle plus tard.

§Pologne très religieuseMichel Séonnet nous emmène jusqu’à Finkenwalde, devenue Skopje en polonais. Bonhoeffer y a repris la direction d’un séminaire destiné à la formation des futurs pasteurs. Errant dans la campagne de l’ancienne Poméranie, l’auteur cherche, ce « lieu ressource, le maintien coûte que coûte d’une autre possibilité du monde ». Quatre volées d’étudiants s’y succéderont avant que ce lieu de repli ne soit fermé par la Gestapo.

Séonnet découvre une bâtisse en ruines. La Pologne, elle aussi, s’est acharnée à brouiller les pistes d’un passé confus. Elle se fabrique une histoire qui refuse d’accumuler ses héritages. Elle préfère en « raser » chaque épisode comme pour éviter d’en garder quelque chose .

Que Bonhoeffer est loin à la découverte aujourd'hui d'une Pologne bâtie à coup de religiosité depuis l’effondrement de l’Est. A Skopje, devant une église qui diffuse vers l’extérieur ses vêpres à plein tube, le narrateur reste perplexe : « Cette sono tonitruante. Qui exige pouvoir et puissance sur tout ce qui l’entoure. Alors que lui n’avait de cesse, ici, dans ses cours, dans ses livres, d’invoquer la puissance de l’impuissance. »

§Un passé brûlantDans cet ouvrage, le passé répond son cesse au présent et réciproquement. Berlin, saisie par sa rage de construire , se vautre dans les Noëls de pacotille. Sur la porte de Brandebourg, c’est Deutsche Telekom qui souhaite de bonnes fêtes. Mais au détour d’une rue, le passé rattrape le visiteur. Le long de la Prinz-Albrechtstrasse, il tombe sur le siège berlinois de la Gestapo, lieu de terreur s’il en est. C’est là que Bonhoeffer fut interné avant d’être déporté. En cet automne 1944, la ville est en ruine, mais la vengeance des tyrans ne souffre aucun délai. La défaite annoncée ne retient pas la main des bourreaux. Encore et toujours le souci systématique et absurde de supprimer les traces. Bonhoeffer est pendu au camp de concentration de Flossenburg le 8 avril 1945. L’Allemagne capitule le 8 mai.

Au-delà de l’acte de résistance, se pose la question du sens. Bonhoeffer y avait réfléchi dans une lettre à son ami de toujours Eberhard Bethge : pour lui, le sens n’est rien d’autre que ce que la Bible appelle promesse : « Le sens est ce qui est à venir. »

Dietrich Bonhoeffer laisse une œuvre en friche. Destin unique et en même temps partagé par tant d’anonymes : « ni un héros, ni un saint, celui que je suis venu chercher à Berlin. Simplement savoir ce que c’est être un homme. Et il n’y a pas de monument pour ça. »

Michel Séonnet, « Dietrich Bonhoeffer. Sans autre guide ni lumière », éd. Gallimard, octobre 2002.

Henry Mottu, « Dietrich Bonhoeffer », éd. Cerf, septembre 2002.

Arnaud Corbic, « Camus et Bonhoeffer », éd. Labor et Fides, février 2002.