Cherche pasteurs désespérément

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Cherche pasteurs désespérément

22 novembre 2002
Les Eglises réformées romandes sont menacées par la pénurie de ministres
Si rien ne change, quinze à vingt pour cent des postes actuels ne pourront être repourvus dans dix ans. Telles sont les conclusions d’un rapport qui sera présenté en assemblée générale à la fin du mois. Le début d’une nécessaire prise de conscience. Le cruel manque de vocations au sein de l’Eglise catholique revient régulièrement à la une des journaux. Pourtant, même si la situation n’est pas aussi dramatique, les communautés réformées se préoccupent d’un manque annoncé de candidats au pastorat. Un rapport sera discuté à la fin du mois par la Conférence des Eglises protestantes de Suisses romandes (CER). « Pour répondre aux besoins, nous devrions former une vingtaine de personnes par année en Romandie. Or nous sommes en dessous de la quinzaine », alerte Albert-Luc de Haller, responsable des ministères genevois.

Aujourd’hui déjà, malgré des départs volontaires et soixante suppressions de postes romands durant la dernière décennie, d’autre part malgré des mesures ponctuelles comme une mise à la retraite anticipée de tous les ministres de plus de 55 ans en 1997 à Genève, aucun pasteur ou presque ne pointe au chômage. « Cela signifie que nous nous trouvons déjà dans une situation de pénurie », estime Albert-Luc de Haller.

§Une centaine manque à l’appelD’après les auteurs du rapport en question, une vingtaine de pasteurs manqueront à l’horizon 2007. Un chiffre extrapolé à partir du nombre de postes actuels, en tenant compte des étudiants inscrits en théologie, des stagiaires et des départs à la retraite annoncés. « Et encore, poursuit Albert-Luc de Haller, cette projection suppose que tous les licenciés en théologie se destinent à un métier d’Eglise, ce qui n’est pas le cas ».

En 2012, le départ de la génération d’après-guerre, importante en nombre, commencera à se faire sentir. D’après un spécialiste, un calcul optimiste aboutit à deux cents départs dans la partie francophone du pays. « Or nous savons qu’il y aura au grand maximum une centaine de personnes formées. Nous serons donc dans l’impossibilité de renouveler entre quinze et vingt pour cent des six cents postes disponibles actuellement en Suisse romande ».

La première cause avancée de cette situation rejoint celle de l’Eglise catholique, mais avec trente ou quarante ans de retard : la crise des vocations. Il y a d’abord la sécularisation de la société : il est loin le temps où le pasteur comptait parmi les figures emblématiques d’un village, à côté du syndic et du maître d’école. « Après 1968, le choc de la modernité et la perte de vitesse des institutions ont frappé de plein fouet les catholiques, note un observateur du cru. Les communautés réformées, peu structurées, ont mieux résisté. Désormais, c’est à notre tour d’être davantage touchés par la perte des repères et le narcissisme ambiant ». Pour ce fin connaisseur de la formation des ministres, l’identité de plus en plus floue de l’Eglise protestante comme du métier de pasteur expliquent en partie le désintérêt pour cette profession. « Avec sa crainte d’affirmations trop tranchées en désaccord avec l’air du temps, elles ne freinent pas une lente érosion de leurs membres en même temps qu’elles empêchent toute identification forte ». La volonté de se profiler sur le terrain social ? « Il existe une multitudes d’associations caritatives laïques où les gens peuvent épancher leurs aspirations sociales ».

§Théologie des ministères en questionPour Olivier Perregaux, président de la CER, les restructurations de beaucoup d’institutions et leurs difficultés financières font peur. En charge des ministères à Neuchâtel, Nicolas Cochand ne dit pas autre chose : « Le message implicite de ces dernières années était que le pastorat ne constituait pas un métier d’avenir et cela retient ceux qui envisagent une activité ecclésiale en même temps que d’autres choix de vie possibles. Si l’on ajoute le flou sur le contenu même de l’activité de pasteur, on comprend que beaucoup préfèrent se diriger vers autre chose ». Voilà qui rejoint tout le débat sur la théologie des ministères, en chantier depuis longtemps.

Plusieurs, dont Albert-Luc de Haller, pointent du doigt un autre aspect, celui d’une culture paroissiale de moins en moins vivace et du nombre grandissant d’étudiants sans aucune expérience de la vie d’Eglise : « Pendant longtemps, les activités communautaires, notamment les mouvements de jeunes, créaient un terreau pour celles et ceux qui désiraient ensuite poursuivre. Tout cela a fortement baissé ».

Certains estiment enfin que la paroisse elle-même fait peur. Olivier Perregaux : « Les gens se disent que leur marge de manœuvre en tant que pasteur sera extrêmement réduite ; ils ont le sentiment d’un fonctionnement très lourd ». Pour Albert-Luc de Haller, « le pasteur se trouve face à des membres de conseils paroissiaux provenant eux-mêmes de milieux très différents. Les relations avec leurs autorités immédiates ne sont donc pas toujours simples ». Enfin, il paraît évident que la réorganisation imminente des facultés de théologie protestantes romandes ne simplifie pas la prise en compte d’une problématique à l’évidence multiple.