L’infidélité, du privilège masculin à l’égalité des sexes

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L’infidélité, du privilège masculin à l’égalité des sexes

28 octobre 2002
D’après Sabine Melchior-Bonnet, historienne, auteure d’une «Histoire de l’adultère», on ne cocufie pas de la même façon avant et après la Révolution française
Privilège masculin sous l’Ancien régime, l’infidélité est, au 19ème siècle, peu à peu tolérée – dans la littérature du moins – de la part des femmes liées par un mariage de raison, mais amoureuses d’un autre homme que leur époux. En deux siècles, les femmes occidentales deviennent peu à peu les égales des hommes… devant l’adultère! Sabine Melchior-Bonnet évoquera cette évolution, à l’invitation du Centre protestant d’Etudes, en ouvrant un cycle de conférences consacrées à l’infidélité, le jeudi 31 octobre à Genève.Femmes et hommes ont longtemps été inégaux devant l’adultère. Aujourd’hui, même s’il n’est pas certain que l’infidélité féminine soit perçue par l’opinion de la même manière que le coup de canif masculin, citoyennes et citoyens adultères sont soumis aux mêmes lois. Une situation relativement nouvelle, après des millénaires de complaisance juridique envers les hommes et de sévérité envers les femmes. Pour mener à bien ses recherches sur l’histoire de l’infidélité, Sabine Melchior-Bonnet s’est notamment plongée dans l’étude du droit, des archives judiciaires et de la littérature, qui reste l’une de ses grandes sources. «Dans le code Napoléon, on constate que l’infidélité masculine est bien tolérée, alors que l’adultère commis par une femme est sanctionné. Il existe un déséquilibre flagrant entre les deux situations, relève-t-elle. Un homme qui tue l’amant de sa femme bénéficie de moult circonstances atténuantes et n’encourt que peu de risques de faire de la prison. Il n’en va pas de même pour une femme adultère.» Une différence de traitement qui se perpétue depuis des temps immémoriaux, fondée sur trois motifs: tout d’abord, la structure patriarcale de la société occidentale est favorable à l’homme. Ensuite, la femme est celle qui donne la vie et «dans une société où la lignée et les liens du sang sont des valeurs très importantes, on sanctionne une femme susceptible de donner naissance à un bâtard», souligne Sabine Melchior-Bonnet. Enfin, sous l’Ancien régime, la vie est régie par le code de l’honneur et l’infidélité féminine porte précisément atteinte à l’honneur masculin. Après la Révolution française, l’honneur, qui est une valeur aristocratique, n’a plus la même importance.

§Le couple repenséPour Sabine Melchior-Bonnet, «c’est La Nouvelle Héloïse de Rousseau qui marque une véritable rupture avec le passé. Ce roman très novateur dans le registre des sentiments qu’il met en scène, a un impact énorme sur la compréhension du couple, du mariage et de la passion». L’héroïne de Rousseau, qui vit une passion avant de se marier avec un autre homme, semble ouvrir la porte à une idée nouvelle: «A partir de la La Nouvelle Héloïse, le sérieux du mariage est d’abord concurrencé puis remplacé par le sérieux de l’amour, explique l’historienne. L’amour devient tellement important qu’il semble légitimer, dans la littérature tout au moins, l’adultère de la femme à qui l’on a imposé un mariage de raison». La femme a presque le droit d’être adultère, pour autant qu’elle soit amoureuse. On ne pardonna pas à Flaubert d’avoir créé une héroïne qui n’était pas éprise de ses amants, mais tentait simplement d’égayer la platitude de son mariage. Madame Bovary provoqua un tollé et valut un procès à son auteur qui avait eu l’audace de banaliser l’adultère et de lui ôter toute poésie.

Au cours du siècle dernier, le mariage d’amour se substitue au mariage de raison. Une union qui paraît plus vulnérable, car les sentiments sont loin d’être aussi stables que les intérêts économiques. «Conscients de cette vulnérabilité du mariage d’amour, les gens s’engagent beaucoup plus à être fidèles, constate Sabine Melchior-Bonnet. La famille se fonde sur des liens affectifs beaucoup plus forts que par le passé, elle n’est plus une simple cellule socio-économique.» Victime du mariage d’amour, assorti du divorce, l’infidélité institutionnalisée a fait son temps. Les femmes n’en auront pas profité.