L'islam mondialisé vit mal son occidentalisationOlivier Roy réfute la thèse du choc des civilisations

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L'islam mondialisé vit mal son occidentalisationOlivier Roy réfute la thèse du choc des civilisations

27 septembre 2002
« Il y a une curieuse dissymétrie entre l’Occident qui voit en l’islam une religion montante et conquérante, et les musulmans qui se vivent comme une minorité brimée, y compris dans les pays musulmans »
Dans son dernier livre, « L’islam mondialisé », le politologue français Olivier Roy souligne ce décalage explosif et décortique les tensions actuelles, syndrome d’une occidentalisation mal vécue. Notes de lecture. Pour Olivier Roy, la réislamisation massive à laquelle on assiste dans le monde et plus particulièrement en Occident, accompagne un processus d’effacement des cultures d’origine au profit d’une forme d’occidentalisation qui permet de se le réapproprier. Dans son dernier ouvrage, « L’islam mondialisé », le chercheur français considère la montée de l’islam comme une reconstruction identitaire autour de la religion, la recréation d’une communauté qui ne peut plus aujourd’hui s’incarner dans un territoire donné, sinon sous forme virtuelle et fantasmatique. Les tensions actuelles liées à l’islam sont le syndrome de son occidentalisation mal vécue.

§Communauté virtuelle Pour Olivier Roy, il n’y a pas deux islams, celui des immigrés et celui du monde musulman. Les mêmes phénomènes sont à l’œuvrepartout mais exacerbés et surtout incontrôlables en Occident, faute de contrôle étatique sur le religieux.

L’islam est passé à l’ouest par un déplacement volontaire des populations musulmanes venues chercher du travail et des meilleures conditions de vie. Des nouvelles frontières s’établissent, dépourvues de territoire concret. Elles se fixent dans les esprits, les comportements et les discours et sont revendiquées avec d’autant plus de violence qu’elles sont à inventer. On assiste aujourd'hui à la création d’une communauté religieuse idéale fondée sur la seule pratique de la foi, loin de ses racines ethniques et sociales d’origine, à l’avènement d’une religiosité perçue comme réalisation de soi, fondée sur la seule pratique religieuse.

Cette réislamisation est une protestation identitaire qui se développe plus particulièrement dans les espaces d’exclusion sociale. Le fondamentalisme qui s’y épanouit réfute le passé, dépasse les divisions contemporaines et propose un modèle universel qui va contre la culture d’origine mais aussi contre la culture occidentale. Il reformule l’islam, détaché d’une culture d’origine, et définit une nouvelle communauté sur la base d’un code strict de comportement où la dimension juridique est fondamentale. Par cette globalisation, il détruit les solidarités et les identités traditionnelles.

§Islam désincarné L'auteur remarque que l’islam en Europe se veut désincarné culturellement et socialement, les musulmans pratiquants ne voulant pas se définir comme Arabes, Turcs, ou Pakistanais, mais comme musulmans, esquivant par là les différences sociales, économiques qui les divisent entre eux et les séparent du reste de la société. La confusion est constante entre culture et religion et s’exprime dans l’expression « la communauté musulmane », qui est une façon d’uniformiser tous les musulmans, venus en réalité d’horizons très différents. Qu'a en effet en commun un Musulman de Londres venu du Pakistan et un Turc de Moudon ?

En se voulant multiculturelle, en évacuant toute référence à une société concrète, l’identité musulmane s’adapte à toute société. En cela, cette recréation est une pure production de l’Occident.

Pour Olivier Roy, le radicalisme islamique, notamment des jeunes intellectuels, ne peut pas se comprendre si l’on ne voit pas qu’il reprend et islamise l’anti-impérialisme occidental et la mobilisation des espaces d’exclusion sociale. Il considère que le terrorisme de Bin Laden et son front islamique de lutte contre les juifs et les croisés ( chrétiens) est en rupture avec la tradition musulmane. Il renoue en fait avec la tradition du terrorisme bien laïque et souvent occidental, tant dans ses cibles, l’impérialisme américain, que dans ses formes d’action, le détournement d’avion. Les militants islamistes impliqués dans des réseaux terroristes sont de parfaits produits de l’occidentalisation et de la globalisation. Ce qui permet au politologue de considérer que les tensions actuelles liées à l’islam sont loin d’exprimer le choc des civilisations dont parle S. Huntington, mais sont l’expression d’une adaptation problématique à l’Occident.

§L'islam mondialisé, Olivier Roy, 210 pages, éd. du Seuil§