Sur l'île de la Radio suisse romande :La solitude, une aventure extrême pour l'homme moderne?

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Sur l'île de la Radio suisse romande :La solitude, une aventure extrême pour l'homme moderne?

27 septembre 2002
Ne s’intéresse-t-on qu’à soi quand on est seul ? L'homme serait-il vide sans les autres ? A écouter les interventions des hôtes qui ont été livrés à eux-mêmes sur l’île de la Radio Suisse Romande pendant 48 heures, la question s’impose
Le sociologue Jean-Claude Kaufmann est allé jusqu'à se demander lors de son séjour sur l'eau, si l’île rendait fou. Le face à face avec soi est loin d’être banal dans une société de la communication du brouillage intérieur constants. D’autant plus quand il est relayé sur les ondes dans une désarçonnante spontanéité. « Et si l’île rendait fou ? s’est demandé le sociologue Jean-Claude Kaufmann après avoir passé deux jours sur le radeau de luxe de la Radio Suisse Romande La Première, perdu quelque part au large d’Estavayer-le Lac, j’étais venu pour me détendre, je suis devenu complètement speed ! » Confronté à lui-même, l’observateur des petits riens de la vie s’est senti pris dans un traquenard. Il a eu beau faire frénétiquement trente fois le tour de l’île, le stress ne l'a pas lâché. Pas facile, le face à face avec soi, avec pour seul bruit de fond le clapotis de l’eau. Pour la théologienne Yolande Boinnard, qui vient de rentrer de son séjour sur l’île,l’expérience a été un cadeau malgré la tempête qu’elle y a essuyée. « Je me suis sentie protégée des agressions et de plus en plus dures et permanentes de notre monde qui va si mal, sans rien pour interrompre ma méditation et mes interrogations à Celui qui me fait vivre ».La théologienne, à l'évidence, est une habituée du dialogue avec soi.

A trois semaines de la fin de l’expérience qui aura duré le temps d’Expo 02 et permis à septante-trois intervenants de s’exprimer, on se bouscule au portillon dans l’espoir de pouvoir vivre l’aventure qui touche à sa fin. A croire qu’il faut un prétexte extérieur pour s’abstraire du bruit et de la fureur quotidiens et découvrir quels démons ou quelles merveilles intérieurs surgissent de cette confrontation à soi.

«L'expérience proposée par l'émission est intéressante dans la mesure où elle permet aux invités de l’île de faire le point sur leur propre intériorité et de remettre

des distances entre eux et les choses, ce qui n'est pas courant dans> notre société actuelle », constate Michel Kocher, responsable du service protestant de radio et producteur de l'Ile pendant une semaine.

§Du temps pour soi« Cette expérience révèle le besoin impérieux que les gens ressentent de plus en plus de trouver du temps pour soi dans le silence », remarque Laurent Voisin, chef de projet Expo 02 et producteur de l’émission, que les auditeurs connaissent bien pour les quatre ans qu’il a passés en tant qu’animateur de la Ligne du Cœur. L’ancien théologien a été surpris que les intervenants ne se soient pas montrés plus critiques à l’égard de la société, voire plus révolutionnaires. « Est-ce qu’on ne s’intéresse plus qu’à soi quand on est seul ? » se demande-t-il, est-ce que l’homme est vide sans les autres ? »

Par le type de questions qu’elle pose, par la spontanéité qui en fait l’originalité et les sensibilités diverses qu’elle révèle, l’émission, si controversée soit-elle par quelques journalistes agacés par les interventions intempestives des hôtes lacustres sur les ondes, est un succès, estime le jeune producteur, plus soucieux de quête de sens que d’audimat !

§Parité respectée Il a pris soin d’inviter sur l’île autant de femmes que d’hommes et des gens de tous horizons, personnalités en vue et inconnus, à l’exception de ceux qui voulaient monnayer leur passage et se situaient dans une logique de marché.

L’expérience de l’île a révélé des personnalités dans leur vérité, leur originalité, parfois dans leur vulnérabilité. On a assisté à ds moments forts de radio comme celui vécu avec le réalisateur Yvan Dalain . «J’ai l’impression que le corbillard va venir m’emmener ! » Sur l’île, il s’est senti envahi par une terrible impression de mort.

Pour le basketteur et chroniqueur Jon Ferguson, le passage sur l’île a été l’occasion de corriger les paroles de Jean-Paul Sartre: « Le paradis, c’est les autres». Conservatrice de la Collection d’Art Brut à Lausanne, Lucienne Peiry pense au milliard d’humains dans le monde qui vivent sans eau potable. Lassara Zala, pédiatre burkinabé, lui a répondu en écho, ravi d’être entouré d’eau : « Quelle chance de vivre dans un pays où on n’est pas obligé de faire la queue jusque tard dans la nuit pour chercher de l’eau ! » Charle Ridoré, secrétaire romand d’Action de Carême, a espéré pour sa part, que la Suisse, embarquée dans la mondialisation économique, est pilotée par des gens qui ont une vision solidaire et responsable et évoqué son utopie, la création d’une Alliance Pacifique, sur le modèle de l’Alliance Atlantique, qui permettrait de se serrer les coudes non pas sur le mode guerrier mais pour sauver des vies.

Chacun, à sa manière, a apporté sa petite touche personnelle à l’oeuvre collective conçue par Laurent Voisin pour La Première et que les auditeurs ont diversement appréciée. "On aurait tout aussi bien pu les expédier dans un chalet sur la montagne, estime avec un certain bon sens uce client d'un bistrot populaire à l'heure du café matinal, ça aurait coûté moins cher !" Rappelons que l'aventure coûte un million de francs. Robinson s'est mis à avoir des goûts de luxe.

§Pour retrouver les interventions des lacustres de ces 5 derniers mois, www.rsr.ch.